Fin 2013, les sondages créditent le Président de la République d’une côte de popularité record : entre 15% et 22% de français satisfaits seulement, c’est vraiment très peu, et ce serait même du jamais vu selon l’institut de sondage BVA qui effectue ce genre d’enquêtes depuis 1981. De toute évidence, le Président et son gouvernement sont dépassés par les évènements au point d’accumuler bévues, revirements et décisions paradoxales, le tout dans une sorte de cacophonie aussi ridicule qu’interminable.
S’il n’existe finalement qu’un seul cap auquel ce gouvernement aura réussi à se cramponner sans jamais dévier d’un pouce, paradoxalement, c’est celui de n’avoir jamais touché à l’essentiel, à savoir l’endettement du pays et son manque chronique de compétitivité. Sans doute parce que ces problèmes ne peuvent être combattus que par des recettes libérales, et que ces recettes, par définition diaboliques, ne sauraient appartenir au paradigme socialiste français.
Face à ce triste et affligeant record, la moindre des curiosités pousse à tenter de deviner dans quel état d’esprit psychologique se trouve le Président. Est-il vraiment si sûr de son fait, est-il persuadé d’aller dans la bonne direction, est-il profondément navré de ses échecs successifs et essaie-t-il enfin de réagir, doute-t-il de ses capacités, ou ne considère-t-il que son image et rien d’autre ?
A ces questions qui se posent tout naturellement en pareille circonstance, il est toutefois possible de répondre, en analysant dans le détail certains éléments du langage présidentiel actuel, à condition d’y attacher toute l’importance qu’ils méritent, et de ne sélectionner que ceux qui ne sont pas directement liés à l’exercice du pouvoir. Parce qu’ils ont lieu à la marge de la fonction politique, et qu’ils ne sont donc motivés par aucune autre pression que celle qui pousse l’individu à s’exprimer, ces éléments sont en effet de très loin les plus chargés en vérités cachées, et sont censés nous en apprendre beaucoup sur leur auteur.
Plusieurs occasions nous ont été données très récemment, trois en moins d’une semaine suivies d’une quatrième un mois plus tard, ce qui est une aubaine :
Le 14 novembre, alors que le Président en visite à Monaco découvre une usine de véhicules électriques monégasque de marque Venturi, la délégation lui présente un prototype qui « s’appelle Volage ». Le Président hésite un instant, puis se met à sourire et demande tout de go : « c’est pas parce que le prince l’a conduit ? ». Cette blague est certes doublement déplacée, d’une part du point de vue de la diplomatie, pour ne pas dire de la politesse vis-à-vis du prince Albert, d’autre part vis-à-vis d’un contexte social français qui ne prête pas à rire, ne serait-ce que par compassion vis-à-vis des citoyens en difficulté. Mais au-delà de son indécence, que nous enseigne-t-elle sur François Hollande ? Probablement qu’il ne sait plus où se mettre, et qu’il lâche des vannes pour chasser une anxiété devenue envahissante. Sinon, ne se serait-il pas maîtrisé ?
Trois jours plus tard, le 17 novembre, en visite officielle en Israël pour des sujets d’une très haute importance (négociation sur le nucléaire iranien, processus de paix avec la Palestine), François Hollande se prononce tout d’un coup sur l’homme au fusil derrière lequel toute la police parisienne courrait : « La seule instruction qui vaille est celle que j’ai donnée au ministre de l’Intérieur et à toutes les forces de sécurité: d’interpeller, d’arrêter ce tireur, pour qu’il ne puisse nuire à quiconque d’autre ». Cette prise de parole n’était pas prévue par le service communication présidentiel, il s’agissait d’une initiative purement personnelle. Par ailleurs, n’en déplaise à la pratique journalistique qui bien souvent confond information et recherche de sensationnel, cette annonce concernait un sujet tout à fait secondaire qui ne méritait pas une intervention d’un chef de l’Etat en visite à l’étranger. Elle constitue donc un acte gratuit, sans nécessité apparente, et dont le motif provient directement du psychisme de son auteur. Quel message avait-il donc besoin de faire passer de façon aussi pressante ? Si l’on relit les propos du chef de l’Etat, il semble que ce soit le désir de montrer qu’il était bien le chef du gouvernement, en particulier par rapport à son ministre de l’Intérieur qui lui fait, on s’en doute, de l’ombre. En effet, sa citation ne peut-elle pas se résumer de la sorte : c’est moi le chef, seuls mes ordres comptent, et le ministre de l’Intérieur est là pour les exécuter ?
A peine de retour d’Israël, le 19 novembre, alors que les affaires de la France ne sont pas au mieux vu le nombre de plans sociaux annoncés un peu partout et pas seulement en Bretagne, François Hollande s’est précipité au Stade de France pour assister au match retour France-Ukraine. Au sortir du match, il reprend la parole : « Vraiment, les victoires en ce moment, on les goûte particulièrement. Surtout quand il y a une ambiance, quand on dit : ‘cette équipe elle n’y arrivera pas, elle ne peut pas y arriver parce que plein de choses…’ Eh bien elle y est arrivée. Elle nous montre l’exemple. Il faut y aller, il faut y croire. ». Il insiste même : « Je pense à tous les Français qui sont heureux ce soir. Il y a des occasions parfois d’être en colère ou inquiets. Aujourd’hui, il y a une victoire, il faut la savourer. Et cette victoire, on la doit à l’équipe de France, et à personne d’autre. Et à son entraîneur. Un entraîneur, ça compte… ». Là encore, il s’agit d’une citation d’ordre privé, sans objectif politique immédiat, et par conséquent, chargée de sens. Que nous dit le Président cette fois-ci ? Qu’il ne faut pas sombrer dans la sinistrose, que même si la vie est difficile et que l’on n’y croit plus, les choses finissent par s’améliorer, et qu’il faut simplement faire confiance à l’entraîneur, probable métaphore du Président lui-même… Il s’agit d’un véritable aveu d’impuissance puisque face au déclin et à la déprime ambiante, il faut s’en remettre à l’espoir, à la croyance, le Président lui-même ne semble pas y pouvoir grand-chose puisqu’il n’a visiblement aucune recette à préconiser, ni d’explication à donner au score du match, et ce n’est donc même pas de sa faute si tout va mal. Au lieu de pousser le pays à réagir, le Président tient un discours modeste, sans éclat, qui consiste simplement à compatir avec les difficultés rencontrées, et à espérer. Une sorte d’éloge de la passivité et de la fatalité pour ainsi dire.
Après une période de relatif calme, les saillies du Président sont de retour et se bousculent même lors du discours d’anniversaire du CRIF, le 12 décembre. « Monsieur le Ministre de l’Intérieur, qui va nous quitter peut-être pour aller en Algérie ? » déclare François Hollande au sujet de Manuel Valls alors que celui-ci était déjà de retour de son voyage à Alger avec le Premier Ministre dont il dit ensuite qu’il est « sain et sauf » puis rectifie aussitôt : « Il en revient » et rajoute, bravache : « sain et sauf, c’est déjà beaucoup » comme s’il avait souhaité dans son for intérieur qu’il n’en revienne pas…
Derrière ces quatre saillies dont les trois premières se sont produites en un temps record (les 14, 17 et 19 novembre), et qui sont donc, de par leur caractère compulsif, forcément révélatrices, se cachent deux constats :
– Le Président est mal à l’aise ce qui l’incite à parler à tort et à travers (le Président s’est d’ailleurs exprimé de très nombreuses fois depuis la mi-novembre) : alors que les gens confiants n’ont finalement rien à prouver, et ne s’expriment qu’avec parcimonie, les personnes en situation d’infériorité s’expriment au contraire de plus en plus, pour un oui pour un non, afin de capter l’attention et de compenser leur déficit d’image. De ce fait, elles prennent la parole fréquemment, tentent de la conserver le plus possible, et, lorsqu’elles le peuvent, introduisent dans leur expression les dimensions qu’elles veulent rétablir aux yeux d’autrui, c’est-à-dire les dimensions sur lesquelles elles se sentent diminuées, ce que les psychologues appellent la « formation réactionnelle ». A l’exception de la mauvaise blague sur le Prince Albert, qui ne cache rien d’autre que de l’anxiété, les dimensions suggérées ici par François Hollande sont le manque d’autorité et le manque de chance. Le Président semble souffrir d’un manque de pouvoir, vis-à-vis de son ministre de l’Intérieur, qu’il semble d’ailleurs détester, si l’on en croit la dernière saillie de nouveau le concernant, mais ne semble déplorer en aucun cas un manque de compétences.
– Le Président ne se sent pas responsable : à aucun moment, il cherche à justifier sa stratégie et les décisions qu’il a fait prendre à son gouvernement. Aucune tentative d’explication, aucune argumentation basée sur des concepts économiques précis ne transparaît. Au contraire, invoque-t-il la fatalité… Il n’y a donc rien à se mettre sous la dent, comme si le Président était quelqu’un d’assez primaire, simple spectateur de lui-même, ne réfléchissant pas et n’ayant même pas d’avis quant aux raisons de la crise sociale actuelle. Avec une telle côte de popularité, et des chiffres du chômage et de l’endettement déprimants, n’importe quelle personne lucide tenterait pourtant de se justifier sur des dimensions précises. Il n’en est rien avec François Hollande. Il souhaite simplement rappeler qu’il est le chef du gouvernement, et qu’il faut attendre que les choses s’améliorent.
Que notre Président soit comparé par certains commentateurs, toutes proportions gardées, au Général Gamelin n’est finalement qu’à moitié justifié : comme le Général Gamelin, François Hollande ne semble pas comprendre le contexte dans lequel il évolue, prend des décisions absurdes, et obtient des résultats exaspérants.
Pour autant, le Général Gamelin a passé ses dernières années à tenter de justifier ses décisions, ce qui est tout de même la preuve du début d’une remise en question, voire des premiers frémissements du sentiment de culpabilité (ou de honte, pour citer au passage Boris Cyrulnik), ce sentiment qui fait tant la différence entre les belles âmes, et les autres.
Il n’est pas sûr que ce si noble sentiment puisse venir un jour toucher de sa grâce notre actuel Président.