Les attentats d’hier dans les locaux de Charlie hebdo sont horribles et totalement condamnables. La liberté de la presse est quelque chose de fondamental. Ceci étant dit, les réactions de la classe politique et des média au lendemain de cet attentat monstrueux (et quelques heures après une autre tentative qui lui est peut-être liée) sont désolantes d’irréalisme et montrent combien classe politique et média ne font plus qu’un.
Par un suivisme digne de Panurge, une partie de la population et quelques entreprises (publiques ?) se sont alliées à ce concert de postures et de déclamations qui finit par ressembler à une sorte d’immense kermesse nationale. Ainsi, une bonne partie du pays, politiques et média en tête, communient dans un pseudo happening festif dont le regretté Philippe Murray, auteur de « Homo festivus-festivus », se serait à coup sûr abondamment moqué :
Exagération de rigueur :
Un « onze septembre culturel » dira même un journaliste sur une chaîne de télévision. L’heure était grandiose, les journalistes autour de la table avaient enfin du grain à moudre et se sentaient au cœur de l’actualité. Il ne s’agissait plus que de faire mousser celle-ci et le bénéfice en devenait colossal. Il faut comprendre l’immense satisfaction narcissique qu’il y avait à en tirer. Et il ne s’agit pas traîner, ces fenêtres de valorisation corporatiste ne durent que quelques journées, le temps que l’actualité tourne la page. Alors on arbore la voix des grands jours et on en rajoute à l’antenne.
Lyrisme et angélisme à tous les étages :
Parce que le Président et son premier ministre ont invité Nicolas Sarkozy à le rencontrer, les journalistes, un trémolo dans la voix, on aussitôt parlé d’union nationale et d’abandon de la politique politicienne. C’est certes émouvant, c’est beau, c’est même enthousiasmant, mais n’est-ce pas un peu naïf ? Qu’est-ce que la visite de l’ancien Président peut-elle bien apporter ? Cette invitation est-elle vraiment dénuée d’arrière pensées ? Est-on absolument sûr qu’il n’y a pas derrière cette convocation le moindre soupçon d’opportuniste électoraliste ? L’occasion ne serait-elle pas rêvée pour faire remonter la popularité d’un Président aux abois, incapable de redresser la courbe de la dette et du chômage ?
Et n’est il pas désespérant de voir les journalistes se délecter de répéter que « Marine Le Pen attend elle aussi d’être convoquée », sous entendu qu’elle ne le mérite peut-être pas, et que « le seul homme politique à ne pas avoir suivi l’union nationale était Jean Marie Le Pen », sous entendu « quel vilain petit canard » ?
Récupération populaire moutonnière :
Pendant ce temps, les réseaux sociaux sont la proie des meilleurs initiatives personnelles, avec de nombreuses images de soutien dans le style « Je suis Charlie ». Ces initiatives sont elles aussi magnifiques, émouvantes, et porteuses d’espérance en la capacité de l’humanité à s’aimer plutôt que de s’entre déchirer. Et pourtant, au-delà de la forme et de la surenchère d’émotions, à quoi ces initiatives peuvent-elles bien servir ? Ce ne sont pas les consommateurs utilisateurs de réseaux sociaux qui vont dissuader les terroristes, assis bien au chaud chez eux ou au bureau devant leur ordinateur ou avec leur smart phone à poster des messages de soutien. Au milieu de cette communication quasi festive, il serait presque vulgaire de rappeler que c’est à la l‘armée et à la police de faire en sorte que ces attentats ne se reproduisent plus. Le nec plus ultra serait même qu’elles les préviennent, et on pourrait s’interroger sur le fait qu’après avoir sorti de pareilles caricatures, forcément provocatrices pour une religion et des pratiquants qui sont encore très loin du détachement chrétien actuel, les locaux de Charlie hebdo n’aient pas bénéficié d’un dispositif sécuritaire un peu plus lourd. Les conflits avec l’islamisme s’enveniment depuis des années. N’était-il pas logique de prévoir un risque accru d’attentat pendant les fêtes chrétiennes de fin d’année ?
Certaines entreprises (publiques ?) en renfort :
Comme si la classe politique et les média ne suffisaient pas à faire gonfler le soufflet émotionnel et compassionnel, des entreprises ont pris part à leur tour à ce magnifique concert national en organisant une minute de silence. Pour quelle raison ? En solidarité vis-à-vis de qui ou de quoi ? Des journalistes ? De la liberté de la presse ? En quoi les entreprises sont-elles concernées ? Pire, en quoi ces minutes de silence peuvent-elles changer quoi que ce soit ? N’est-ce pas de la récupération ? Ou de l’opportunisme consistant à surfer sur l’émoi national du moment ?
Alors, la France enfin rabibochée avec elle-même ?
Certes, tout ce tintamarre de compassion, de postures, de déclarations et d’émotion change un peu des conflits politico-nauséeux qui nous sont servis tous les jours par la classe politico-médiatique. Mais la France se serait-elle réconciliée avec elle-même pour autant ?
En réalité, toute cette communion, ce tropisme émotionnel, ce chorus culturel ne sont qu’une réaction purement superficielle et largement déclenchée par les pouvoirs politiques et médiatiques. Pire, elle n’est que la parfaite exagération symétrique de ces conflits de cloche-merle qui font notre quotidien hexagonal : on y retrouve le même irréalisme, la même propension à suivre ses tripes et à surtout ne pas affronter le réel tel qu’il est.
Cela fait combien d’années que ces problèmes sécuritaires et identitaires sont connus ? Est-ce la première fois que Charlie hebdo est attaqué ? Est-ce la première fois que des journalistes sont menacés ? La fatwa sur Salman Rushdie aurait elle été oubliée ? Les attaques sur les éditeurs, les traducteurs et les distributeurs de son fameux livre également ?
La France passe à l’étranger pour être un pays de gens irréalistes. De telles manifestations nationales ne doivent pas faire illusion : chez nous, l’union nationale n’est pas une valeur en hausse, loin de là, et de telles réactions ne font que masquer les problèmes. Certes, elles ont au moins une fonction, celle d’aider à supporter un évènement désagréable, à l’instar de quelques granules d’Arnica Montana. Mais nos pouvoirs politique et médiatique ne seraient-ils que de simples médecins homéopathiques ? Les problèmes du pays ne mériteraient-ils pas plutôt un traitement allopathique et un discours de vérité ?