J’ai lu le Portrait de Dorian Gray sans rien savoir ou presque sur son auteur (Oscar Wilde) et sur l’image de chef d’oeuvre du livre. Par une incroyable chance (ou malchance) je suis arrivé sur ce roman vierge de tout préjugé. Tout juste avais-je entendu de la part de plusieurs membres du cercle de lecture auquel j’appartiens qu’il s’agissait d’un incontournable. Effectivement, j’ai reconnu dès les premières phrases les caractéristiques d’un chef d’oeuvre, à savoir un style magnifique et fluide, des sentiments humains rares et admirablement bien traduits, et ce jusqu’à ce que le peintre achève le portrait de ce modèle qu’il aime tant. Aussitôt passé ce moment, la trame du récit s’effiloche et le livre n’est plus que l’ombre de ce qu’il promettait d’être ! Alors que les sentiments les plus somptueux semblaient se dessiner entre les personnages, dont une potentiellement épouvantable rivalité entre le peintre et son ami cynique, ceux-ci s’évaporent subitement dans une succession de non dits et d’actions aussi inintéressantes que décousues. Lorsque par exemple Dorian Gray découvre dans un placard de son appartement de la drogue, cela lui donne l’idée de se rendre dans un tripot. Une fois sur place, l’un des protagonistes de l’histoire, qui voulait sa mort, ne le reconnait pas du fait de son apparence toujours jeune. Le but de ce déplacement était bien évidemment de rencontrer cette personne afin de rappeler au lecteur que Dorian Gray ne vieillissait plus. Mais cet épisode est amené de façon totalement artificielle, pour ne pas dire purement fonctionnelle. C’est exactement l’inverse de l’élan créatif, cela s’apparente à de la construction.
En réalité, l’auteur m’a donné l’impression de remplir des feuilles sans pouvoir poursuivre sur cet élan génial du début, comme s’il était dans l’impossibilité de traduire les développements qui pourtant s’annonçaient. La dégradation du tableau semble tomber du ciel. La détérioration morale du modèle semble tout aussi peu introduite. Quid du peintre et de ses sentiments ? Que s’est-il passé tout d’un coup dans la plume de l’auteur ? Inhibition ? Censure sociale ? Ne serait-ce pas le carburant du livre lui-même qui se serait déjà consumé dès lors que le peintre a posé ses pinceaux ? La promesse de l’amour et de la beauté s’étant matérialisée dans le portrait, tout s’est peut-être volatilisé dans la tête de l’auteur, au point de le laisser seul devant une feuille blanche, à cours d’inspiration.
Il est possible que les trois éléments que constituent 1/ le livre tel qu’il a été écrit, 2/ le livre tel qu’il aurait pu être (le projet en fait), et 3/ le charisme de l’auteur lui-même, se soient mélangés dans une sorte de précipité culturel et fusionnel qui, par le mystère de la critique et des phénomènes médiatiques, ont conduit à l’encensement général. Mais selon mon humble avis, le livre ne mérite pas du tout son statut. L’auteur et son projet de Portrait sont certes grandioses (et tout le monde est d’accord là dessus). Mais le résultat ne me semble pas à la hauteur.