Pendant combien de temps encore la gauche française va-t-elle proposer des programmes fantaisistes, quasiment illuminés (les mots ne sont pas assez forts) en s’adressant aux électeurs les plus naïfs sur le plan économique ? Et en méprisant les autres, ceux qui trouvent ces projets irresponsables, voire même clownesques ?
D’ailleurs, est-ce une stratégie, forcément cynique, de la gauche française ? Ou la conséquence d’une inquiétante inculture ? En d’autres termes, la gauche hexagonale feint-elle l’ignorance économique par calcul électoraliste, dans le but de racoler l’adhésion des populations les moins instruites ? Ou est-elle littéralement ingénue dans ce domaine ?
Lorsque l’on analyse les programmes des candidats Benoît Hamon, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Jean-Luc Mélenchon, qui à eux quatre représentent indéniablement la « vraie gauche », ou mieux encore, la « gauche légitime », la question prend hélas toute son acuité. Pour la santé mentale de ces candidats, on en viendrait presque à leur souhaiter le cynisme, de peur qu’ils croient véritablement en leurs propres racontars. Quoi qu’il en soit, cynisme ou ignorance, le tableau n’est pas rassurant. Qu’on en juge :
Faire battre le cœur de la France avec Benoît Hamon
Benoit Hamon espère, sans rire, financer le revenu universel par les impôts en élargissant leur assiette (cf. site web officiel). On croît rêver quand on sait que la France est parmi les champions du monde de la pression fiscale et que selon toute vraisemblance, celle-ci a déjà largement dépassé le seuil fatidique de la loi Laffer… Elargir l’assiette et simplifier les impôts sont certes de bonnes idées. Mais, à l’instar des promesses de François Hollande en 2012, lutter contre le déclin économique et le chômage de masse ne figure pas dans les mesures phares de son programme. Benoît Hamon est certainement génial. Mais comment va-t-il s’y prendre ?
Quand bien même le candidat ne parle que de la première étape, le financement du revenu universel (à raison de 750 euros par personne) exigera de sacrées économies sur le train de vie de l’Etat, et de solides améliorations de son rendement. Tout cela ne pourra se réaliser que grâce à des réformes radicales, une refonte de son organisation et une diminution drastique de ses effectifs pléthoriques. Pourtant, rien de cela ne transparaît dans son programme. Au contraire, celui-ci s’articule sur les axes suivants :
-« le progrès social et écologique », en opposition frontale avec le modèle pourtant suivi par le reste du monde : « notre course effrénée après la croissance n’a pas de sens dans un monde où les ressources naturelles sont finies, surtout quand elle se fait au prix de notre modèle social ». Ainsi, en une phrase, la messe est dite ! Et bien évidemment, rien n’est dévoilé de ce qui sera fait pour convaincre le reste de la planète, ni quant au prix à payer pour cet isolement aussi royal que suicidaire…
-« une république bienveillante et protectrice » dans le déni total des échecs de l’intégration et de la violence ethnico-religieuse… La France est définitivement peuplée d’individus gentils de toutes origines et de toutes confessions qu’il s’agit d’éloigner à jamais des velléités ségrégationnistes.
-une France forte dans une Europe forte. Benoit Hamon reste européen, mais cela l’arrange énormément car, très bizarrement, la lutte contre le terrorisme et l’insécurité n’est évoquée que dans ce cadre-là. Comme si le sujet sentait le soufre et ne pouvait être envisagé que par nos voisins. Forcément, la nation française (expression très mal connotée à gauche), ne peut se salir les mains dans de si basses besognes. Forcément, la violence ne vient pas de chez nous. Elle est mondialisée. Il semblait pourtant que la très grande majorité des terroristes qui ont frappé sur notre sol depuis l’affaire Merah étaient des Français…
Le grand projet alternatif d’Arnaud Montebourg
Arnaud Montebourg, l’homme qui n’avait jamais mis les pieds dans une entreprise, a démissionné de son poste de ministre du « redressement productif » (initialement appelé « redressement progressif » par le JO, c’est dire !) puis a rapidement suivi quatre semaines intensives d’un séminaire « Advanced Management Programme » à l’ENSEAD. Recruté aussitôt chez Habitat pour notamment redynamiser les ventes, il vient de quitter cette entreprise. On peut d’autant plus facilement ironiser sur les critères de recrutement de celle-ci que son PDG a récemment fait savoir qu’en dix huit mois, l’ancien ministre « «n’aura pas apporté du chiffre d’affaires supplémentaire» (Figaro 08/16). Selon ce même dirigeant, les seuls apports de ce spécialiste du Made in France résident dans des « rapports d’étonnements » et dans la « confortation des problèmes déjà identifiés ». Ce dont n’importe quel auditeur un tant soit peu expérimenté est capable (ceci dit en passant).
Qu’à cela ne tienne, après cette expérience extrêmement concluante, l’intéressé se sent de taille à devenir président de l’hexagone. Cette courte immersion dans le monde réel lui aurait-elle été finalement bénéfique ? La réponse semble être à la fois oui et non (cf. site web officiel) :
-Oui parce que le candidat a découvert tout d’un coup l’importance des PME dans la création d’emplois. Mieux vaut tard que jamais…
-Non parce que les solutions qu’il préconise pour relancer l’activité des PME sont des solutions étatiques puisqu’il s’agit de leur réserver (à 80%) les marchés des collectivités locales ! Au diable donc la pression concurrentielle sur l’efficience, bienvenue aux jeux des marchés publics, sorte d’entre soi franco-français des PME labellisées comme tel sous le regard bienveillant de l’acheteur étatique…
Mais alors, qu’en est-il de l’international ? Comment dynamiser les PME sur les vrais marchés concurrentiels, ceux sur lesquels la France a perdu en un temps record la moitié de ses parts du marché mondial industriel et 20% sur celui des services ? Hélas, rien n’a été envisagé. Derrière l’appellation de « gaullisme social », le financement par la CDC de grands travaux de « rénovation thermique des bâtiments publics et privé » (sic !) ne se cache qu’une mesure de court terme encore financée par l’argent public.
Quant à son vaste programme d’investissements, Arnaud Montebourg le propose tout en baissant les impôts sur les classes moyennes, en diminuant le coût de la santé pour tous et en favorisant l’accès à la propriété, ceci sans le moindre effort par ailleurs visant à améliorer la compétitivité française : maintient des 35h, abrogation de la loi Khomri… Et pour relancer le pouvoir d’achat, toujours aussi gaullien, le candidat propose rien moins que le partage des bénéfices des entreprises avec leur personnel. La multiplication des pains en quelque sorte ! C’est tout simplement magique.
Une nouvelle ère du peuple avec Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon propose quant à lui un programme magnifiquement axé sur l’avenir de l’humanité, programme qu’il organise autour de sept piliers complémentaires dégoulinants de beaux sentiments (cf. site web officiel) :
-le changement de la constitution pour une sixième république plus démocratique, rendue au peuple afin de « tourner la page de la tyrannie de l’oligarchie financière et de la caste qui est à son service » (sic).
-la fin du « gavage des riches » grâce à une répartition accrue en direction des pauvres. Il semblait pourtant que la France détenait le record mondial de la redistribution…
-la transition énergétique en vue de répondre à l’intérêt humain face au dérèglement climatique. Pourquoi donc s’embarrasser avec un court terme retors ? Le long terme de l’humanité n’est-il pas plus fédérateur ?
-la sortie des traités européens qui nous imposent « l’austérité » (sic !) afin de nous donner de la liberté face à une dette « dont tout le monde sait qu’elle ne peut être payée dans aucun pays ». Tant pis pour les créanciers. Ils n’auront qu’à nous obéir. Et la pression sur les taux d’intérêt et le risque de cessation de paiement ? Inconnus au bataillon.
-la sortie de l’Otan.
-l’atteinte de « nouveaux progrès humains » en lieu et place du consumérisme et de l’agression publicitaire de la société actuelle… Le paradis en quelque sorte.
La protection des fonctionnaires et des plus faibles avec Vincent Peillon
A ce jour, le programme de Vincent Peillon est encore très peu détaillé, mais le candidat s’est dores et déjà engagé contre la suppression des 35 heures, de l’assurance vieillesse, et contre la diminution du nombre de fonctionnaires, population dont il déclare au contraire vouloir assurer la protection et l’augmentation des effectifs (Le Point 12/12/16). Il semblait pourtant que deux Français actifs sur cinq travaillent déjà pour l’Etat, et que l’hexagone compte deux fois plus de fonctionnaires par habitant que les Allemands, et plus de ministres que les Etats-Unis. Ce n’est sans doute pas assez…
Vincent Peillon parle également d’assurer un « reste à vivre pour les plus modestes » (l’Obs 15/12/16). Paradoxalement, aucune amélioration des sources de revenu du pays n’est pour le moment annoncée, à croire que l’argent coule à flot puisque les seules mesures pour l’instant présentées par le candidat sont des dépenses supplémentaires et des refus de procéder à des économies ! Mais n’est-ce pas la période de Noël ?
La gauche française structurellement allergique à la création de richesse
Il est consternant de constater à quel point, sur le plan économique, ces quatre programmes sont structurellement voisins, comme s’ils découlaient d’un même blocage, d’un même refoulement du réel, d’un même pathos vis-à-vis de ce que l’on dénomme, en sciences économiques, la « création de richesse ». Par contiguïté tout à fait naturelle, ce pathos s’étend bien évidemment aux riches, à ceux qui créent cette richesse tant honnie, et dont il faut un jour ou l’autre les dépouiller, ne serait-ce que partiellement. Le nœud du problème de la gauche se trouve donc ici même, dans ce refus de dire, ou de voir (car on ne sait toujours pas si c’est du cynisme ou de n’ignorance) d’où vient l’argent…
Il y a énormément à analyser sur le statut symbolique de cet argent maudit dans l’inconscient de la gauche française. Très concrètement, à travers ses discours, car ceci est extrêmement révélateur, il apparaît que :
-l’argent est un bien constamment disponible. Le volume disponible ne semble d’ailleurs jamais poser de problème, à croire que cet argent se renouvelle tout seul, tranquillement, sans stress ni courage, comme un gâteau définitivement à l’abri des aléas de la vie économique mondiale et de la prise de risque individuelle…
-le lieu géographique de cette disponibilité se trouve chez les riches, c’est-à-dire chez les patrons et les banquiers. C’est dire l’infantilisme de ce statut, que l’on pourrait ni plus ni moins résumer par l’expression « dans la poche des nantis ». Voila sans doute pourquoi parler de processus de « création de richesse », d’établissement des « conditions favorables » à celles-ci et de « dynamisation de la compétitivité du pays » revient à prêcher dans un désert.
-la légitimité de cet argent n’est évoquée que négativement. Puisqu’il a vocation à être redistribué aux nécessiteux, cela suppose qu’en aucun cas ceux qui se sont débrouillés pour le créer n’ont un meilleur mérite que ceux qui n’y sont pas arrivés, ou pire encore, que ceux qui ne s’y sont même pas essayés. Cet argent est donc un dû, une sorte d’anomalie. Une anomalie que seuls les transferts orchestrés par un Robin des Bois public (au-dessus de tout soupçon) seraient en mesure de réparer.
Qu’elle soit le fruit du cynisme ou de l’ignorance, une telle perversion du discours politique est de toute évidence un poison pour notre démocratie : elle aide à maintenir certaines catégories de citoyens dans un rêve passablement dangereux. De la part de candidats à l’élection présidentielle d’un pays surendetté, incapable de faire face à ses dépenses sociales et au train de vie de son état tentaculaire, de telles promesses sont tout simplement scandaleuses. Or, la société française semble n’avoir même plus le ressort nécessaire pour s’opposer à cette surenchère digne du père Noël. Les médias ne reproduisent-ils pas sans broncher les programmes les plus mirobolants ? L’éducation nationale ne continue-t-elle pas d’enseigner dans ses cours d’économie du secondaire l’alter-mondialisme, la décroissance et l’écologie, à grand renfort de références officiellement inscrites aux programmes telles que Alternatives économiques, John Maynard Keynes et consorts ?
Une telle pathologie peut s’expliquer de différentes manières. Les historiens verront probablement là les réminiscences de l’esprit révolutionnaire français, fait de détestation des élites mâtinée de nostalgie communiste dans un pays au logiciel fortement teinté de jacobinisme et de marxisme. Les psychologues y verront certainement un complexe d’Œdipe mal résolu, avec cette opposition réflexe et maladive à l’Autorité, à la Société adulte faite de gens responsables à laquelle chacun doit payer son tribut dans le respect d’autrui et des réalités. Les économistes y verront à coup sûr un aveuglement idéologique porté sur le planisme et l’étatisme dans le mépris total des dégâts causés par les expériences historiques de ce genre…
Mais comment ne pas voir, dans l’existence de tels programmes pour les élections présidentielles de 2017, la preuve indiscutable du manque de maturité politique de la gauche française, et par conséquent, de celle de l’ensemble de notre pays ?
22 décembre 2016 6 h 15 min
[…] Sur le web […]
30 décembre 2016 19 h 16 min
Raymond Barre qui, en 2002, évoquait « le crépuscule des magiciens », « la déroute des illusionnistes », ne s’est pas avéré visionnaire. On devine qu’il les voyait plus cyniques qu’ignorants. Je suis de la même école de pensée. Ces gens là sont malhonnêtes au sens le plus pur du mot. Ils mentent pour endormir un public qui n’aime rien moins que de voir les réalités en face. Les champions du monde de la consommation d’anti-dépresseurs n’aiment pas qu’on leur parle de la dette et des déficits de leur pays comme s’il s’agissait d’une menace. Il y a si longtemps que ça dure … Les anesthésistes de la politique ont encore de beaux jours devant eux, à moins que par un incroyable sursaut les français sachent saisir, en 2017, leur dernière chance de salut.
30 décembre 2016 19 h 25 min
erreur que je rectifie : c’est en 1982 que Raymond Barre a dit cela
31 décembre 2016 0 h 21 min
Ce serait donc du cynisme 🙂 C’est hélas assez probable…