Depuis le commencement de la vague d’attentats (Montauban), il semble que le phénomène terroriste actuel suscite des thèses passablement contradictoires. Au-delà des polémiques dont nous sommes quotidiennement abreuvés, qu’en est-il réellement ? Ce terrorisme est-il d’origine religieuse ou ethnique, typiquement local ou importé de Daesh ? Les auteurs des violences sont-ils des malades mentaux ou des combattants voués à une cause, des extrémistes parfaitement intégrés ou de marginaux sans formation ni travail ?
Une analyse pragmatique du phénomène
L’analyse du profil des terroristes peut nous apprendre beaucoup sur l’origine de leurs actes. Surtout, cette façon de procéder apparaît fondamentalement pragmatique : il s’agit de considérer des faits générateurs, tels qu’ils sont concrètement vérifiables, et non pas de tenter une mise en perspective d’ensemble, à posteriori. Car le profil des terroristes est un fait avéré, tangible, indiscutable. Il devrait être un préalable à toute tentative d’interprétation des actes perpétrés sur le sol français.
Le tableau ci-dessous mis à jour à fin juillet 2016 (meurtre à Saint Etienne du Rouvray) relate de façon synoptique ces profils. Seuls les terroristes dont la participation directe a été démontrée y apparaissent. Ils sont au nombre de quatorze :
En réalité, bien que le profil de ces criminels se ressemble étonnement, et on peut parler ici de « stéréotype », le phénomène terroriste apparaît dans toute sa complexité. Pourquoi ? Parce que justement, le profil des auteurs des attentats commis sur le sol français se ressemble sur de nombreux plans, et pas seulement sur celui d’une inspiration politico-religieuse islamiste ou pro-Daesh.
En effet, ces terroristes sont tout aussi proches en matière d’origine familiale ou sociologique qu’ethnique. A l’inverse, quasiment aucun d’entre eux n’était un musulman pratiquant. Tous s’étaient convertis de façon aussi récente que radicale, dans des conditions très particulières. Ces similarités sont donc troublantes, et permettent de rétablir les contre-vérités suivantes :
-L’Islam n’est pas la seule ou la principale cause
Pour rappel, le plus grand pays musulman de la planète est l’Indonésie et ce pays ne se caractérise pas spécialement par une acception rigide et violente de l’Islam. Bien au contraire. Il en est de même pour les populations d’autres pays musulmans, comme l’Iran ou la Turquie (indépendamment des propos ou actions de leurs gouvernements respectifs). Il ne faut donc pas céder à l’amalgame. Mais il ne faut pas non plus oublier l’importance de l’Islam dans la trajectoire de ces terroristes : tous on rencontré des extrémistes religieux (en prison le plus souvent). Ceux-ci leur ont servi des discours en forme de justification à leur passage à l’acte. L’endoctrinement religieux, le culte de la violence et de l’anéantissement des populations impies, tout cela semble facilité par une lecture radicale du Coran.
–Le genre, l’origine ethnique et la structure familiale jouent un rôle indéniable
Ce sont tous des hommes jeunes (19 à 31 ans). Onze d’entre eux (sur 14) sont issus d’importantes fratries (cf. analyses du Docteur Rik Coolsaet pour The Guardian dans Les Echos 11/2015). Et dans la plupart des cas, ils ont été élevés dans une relative absence d’autorité paternelle si ce n’est parentale. Ce sont donc des enfants dont l’éducation s’est avérée partiellement défaillante en ce qui concerne ce processus si important que constitue l’édification du Sur Moi du futur adulte apte à la vie en société.
De même que tous proviennent de familles d‘Afrique du Nord, tous étant du Maghreb sauf un, issu d’une famille malienne. L’unicité géographique reste donc particulièrement frappante Algérie (6) et Maroc (6), Mali et Tunisie sont des pays voisins. La coïncidence ethnique ne tient d’ailleurs pas du hasard : ces quatre pays proviennent d’anciennes colonies ou protectorats français. Aucun Egyptien, Iranien, Indonésien (ou même Vietnamien, Espagnol, Italien ou Portugais) n’a encore frappé chez nous. Il subsiste probablement un ressentiment vis-à-vis de l’ex colonisateur français, une sorte d’ambivalence amour/haine qui ne peut qu’aider au passage à l’acte lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies par ailleurs.
-La composante immigration est déterminante mais pas là où on pense
Elle est certes déterminante puisqu’aucun de ces terroristes n’était d’une famille française de longue date. Tous sauf un étaient issus de la seconde génération de l’immigration (le dernier terroriste était tunisien), cette génération qui, selon les sociologues, peine encore plus que la première à s’intégrer. Aux difficultés rencontrées par les parents, qu’elle a subies pendant toute son enfance, s’ajoutent les siennes propres à l’école puis à l’entrée dans la vie active. Les parents ont choisi l’immigration, ils ont consacré leur énergie à survivre au changement de contexte culturel et ethnique. Mais les enfants ne sont pas mieux lotis pour autant, comme s’ils reprenaient le processus au stade auquel les parents l’on trouvé lorsqu’ils sont arrivés sur le sol français.
Néanmoins, cette difficulté relative à l’immigration n’est pas celle que l’on croit : pratiquement tous ces terroristes avaient un métier, une formation (certes limitée, sauf pour le dernier d’entre eux) et de quoi vivre ne serait-ce que décemment. Les difficultés de l’intégration sont donc ailleurs, du côté de la possibilité de faire jeu égal avec la population du pays d’accueil, sur fond d’un possible sentiment de rejet ou de désamour de part et d’autre (aspects physiques, accent, activités culturelles, valeurs)…
Il s’agit certes d’un échec sur le plan de l’intégration, mais celui-ci ne concerne pas directement l’aspect financier. Cet échec se cristallise sur un autre plan, bien plus subtil et prépondérant : celui d’une véritable assimilation. En France, la sélection scolaire puis professionnelle fait apparaître en effet des inégalités criantes entre origines ethniques. Tous les immigrés ne sont pas frappés de la même manière. Les statistiques sont formelles : parmi les différentes ethnies de l’immigration, ce sont les populations en provenance des pays musulmans, maghrébins ou africains (selon les études) qui affichent les taux de réussite scolaire et professionnel les moins bons (cf. les travaux confondants de Nicolai Sennels, Atlantico 04/2016 ; l’Ined, le Figaro 10/2010; Claudine Attias-Donfut, le Figaro 10/2009). Les écarts sont considérables, en ce qui concerne les garçons…
Simplification médiatique et politiquement correct
Ainsi, le passage à l’acte de ces terroristes semble multi-causal. Il prend son origine dans la combinaison de plusieurs variables. Ces variables sont quasiment identiques d’un terroriste à l’autre au sein de cette liste certes courte, mais exhaustive. Ce qui prouve combien c’est la combinaison de ces variables qui semble détonante, et non quelques unes d’entre elles prises séparément. Est-ce pour cela que le concert médiatique et les polémiques qui parcourent l’hexagone visent à réduire ce terrorisme à des causes simples et parfaitement circonscrites ? Est-ce parce que le travail journalistique de type pédagogique n’a plus cours de nos jours, dans des comités de rédaction dont l’objectif se résume à des slogans simplificateurs à la portée de n’importe quel cerveau ? Est-ce parce que les hommes politiques ne se sentent pas eux-mêmes le courage de nommer cette complexité et préfèrent en profiter pour dissimuler leurs propres responsabilités ?
A contre courant de cette tendance, voici donc un schéma qui résume de façon visuelle (et sans les hiérarchiser) la conjonction des différences causalités très probablement à l’origine du passage à l’acte de ces terroristes :
Il est vrai qu’à la lecture de ce schéma, les responsabilités de la France apparaissent clairement. Force également de constater que le phénomène en question n’est certainement pas prêt de s’estomper sans une prévention et une répression efficaces. Pilonner les positions de Daesh semble tellement éloigné de ce dont l’hexagone aurait immédiatement besoin !