Article publié en exclusivité sur Atlantico :
Il est stupéfiant de constater combien en France le libéralisme est non seulement méconnu, mais fait l’objet des pires méprises. Comment expliquer en effet que les citoyens favorables à la libre entreprise et à l’économie de marché accusent le gouvernement Hollande d’avoir mené une politique étatique tandis que de nombreux électeurs socialistes reprochent à ce même gouvernement d’avoir trahi ses électeurs en ayant imposé une politique ultra-libérale ? Parle-t-on du même libéralisme ?
Certes, l’une des causes d’une perception diamétralement opposée vis à vis d’une même réalité à savoir le « libéralisme » provient du discours fallacieux tenu par F.Hollande, M.Valls et E.Macron, tous trois n’ayant eu de cesse de parler de réformes visant à la « libéralisation » de l’économie sans jamais les élaborer complètement, encore moins les mettre en place, tout en poursuivant par ailleurs des buts exactement opposés (recrutement de fonctionnaires, multiplication des contraintes étatiques, augmentation des impôts).
Or, chez les socialistes, parmi lesquels de nombreux enseignants et fonctionnaires nourris au marxisme depuis toujours, ce discours à connotations libérales a été considéré comme s’il s’agissait de véritables réformes. Et l’échec patent de celles-ci a donc été mis sur le compte de ce libéralisme honni. Bien évidemment, une telle « condensation » (entre un discours et des faits hypothétiques) arrange parfaitement les électeurs de gauche. Elle leur permet de conserver leurs croyances intactes : non, le socialisme n’est pas en cause dans le considérable échec du gouvernement de F.Hollande ! C’est bien le libéralisme qui est fautif !
Il existe toutefois une autre raison à ces quiproquos continuels, une raison plus structurelle et probablement plus répandue encore. Il s’agit de la confusion entre deux libéralismes (si tant est que l’on puisse totalement les décorréler) : le sociétal, et l’économique. En réalité, le gouvernement de F.Hollande a montré une vraie ambition sur le plan sociétal, avec l’établissement du « mariage pour tous » qui se rajoute au Pacs et permet aux homosexuels de se marier comme tout un chacun. Au moins, cette réforme a été mise en place entièrement, à l’inverse de la plupart des réformes économiques annoncées qui ont été soit vidées de leur substance (réforme du travail, des taxis, encadrement des loyers, ) soit carrément annulées (écotaxe, réforme fiscale)…
Mais quelles sont vraiment les différences entre libéralisme économique et libéralisme sociétal ? Et surtout, quel est celui dont la France a vraiment besoin de toute urgence ?
Le libéralisme sociétal, cet inconnu
En évitant volontairement toute référence philosophique ou historique, d’un point de vue purement phénoménologique, et même s’il reste assez directement lié au libéralisme économique, le libéralisme sociétal semble se nourrir des paradigmes suivants :
-le désir de s‘affranchir des règles et contraintes héritées du passé
-le désir d’accommoder les mœurs au progrès scientifique
-le souci de construire l’humanité de demain.
Comme l’indique Françoise Héritier, élève et successeur de Claude Levy-Strauss au Collège de France, l’homme est totalement maître de la société humaine et la façonne dans les directions qu’il souhaite. Ainsi, pour simplifier, le libéralisme sociétal s’intéresse à l’adaptation des règles de la société, la Culture en quelque sorte (par opposition à la Nature) pour les générations qui viennent. En d’autres termes, il se passionne pour la modernisation de la société, et vise en quelque sorte à l’affranchir de la mainmise religieuse et de la violence primitive qui les caractérisaient un peu partout sur la planète à leur commencement.
De ce point de vue-là, toutes les sociétés ne se situent pas au même stade d’évolution. Alors que l’égalité entre les hommes et les femme nous semble acquise pour nous Européens, tandis que les statistiques nous montrent que les faits ne sont encore tout à fait à la hauteur de cette croyance (inégalités salariales, inégalités de statut), de nombreux pays refusent toujours le fait même d’imaginer qu’une femme puisse avoir la même valeur et les mêmes droits qu’un homme.
En France, le droit de vote des femmes date de 1944, ce qui semble relativement récent comparativement à la Nouvelle Zélande, la Finlande, le Danemark, la Suisse ou la Chine par exemple, qui l’ont accordé aux alentours des années 1900 ! Actuellement, il existe encore deux pays qui n’ont pas accordé ce droit aux femmes. De même qu’en ce qui concerne l’homosexualité, de nombreux pays l’interdisent et la punissent. Idem pour la contraception, et le divorce.
Dans un autre domaine encore plus actuel, celui des recherches génétiques, les écarts entre pays ne serait-ce qu’européens sont tangibles : les expérimentations scientifiques sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires sont autorisées depuis peu en France alors qu’elles le sont depuis plus longtemps chez certains de nos voisins. De tels écarts existent tout autant en matière de gestation pour autrui.
Toutes ces questions de société, induites régulièrement par les découvertes scientifiques ou tout simplement par l’évolution des mœurs, soulèvent d’énormes questions philosophiques. Il en revient toujours à l’Homme de trancher, selon l’éternelle interrogation épistémologique : est-ce bon pour lui ou pas ? Le libéralisme sociétal tente de promouvoir certaines réponses à cette interrogation vitale puisque censée assurer le bonheur et la longévité de l’humanité.
Le libéralisme économique, cet incompris
Le libéralisme économique, au sens classique du terme, reste lui aussi porteur d’un projet de société puisqu’il vise à assurer l’égalité des chances et le respect des libertés individuelles. Plus exactement, très à cheval sur le Droit et le Principe de subsidiarité, le libéralisme cherche à prévenir l’émergence de toute centralisation du pouvoir par une dictature, et l’annexion du Droit par celle-ci. La « Route de la servitude » de F.A.Hayek constitue la bible de référence pour ce culte de la liberté individuelle et la phobie du totalitarisme que l’auteur résume ainsi: « le planisme économique implique la réglementation presque totale de notre vie ».
Sur une échelle plus économique encore, le libéralisme signifie plus particulièrement l’allègement des contraintes et des taxes générées par un Etat envahissant. Et c’est bien là sa principale acception chez les libéraux économiques français. Mais qu’en est-il réellement ? Ces libéraux sont-ils illuminés ? La France a-t-elle vraiment besoin de réformes libérales ou plutôt sociétales ? Jugeons sur pièce :
La France, pays parmi les plus étatisés du monde
Seuls les réfractaires à l’économie ne le savent pas encore, ou ne veulent pas l’admettre : la France est l’un des champions mondiaux de la dépense publique, de la redistribution et plus généralement, du poids de l’Etat.
Ne serait-ce qu’en nombre de travailleurs, l’emprise de l’Etat atteint des niveaux très élevés dans l’hexagone. Peu de pays, à part la Chine communiste (qui n’est pas si éloignée finalement), peuvent se targuer d’avoir plus de 35% de la population active employée par l’Etat (source Citi 2011) :
De même qu’en matière de dépenses sociales, les statistiques disponibles ne laissent aucun doute. La France est un pays qui a vu la part de celles-ci atteindre des proportions record (source Financial Times 2017) :
Une sentence résume à elle seule ce mal typiquement hexagonal : un pays qui ponctionne plus de 57% de la création de richesse annuelle est tout sauf un pays libéral. Même si cette assertion ne fait pas ciller les socialistes purs et durs (car ils dédaignent les chiffres économiques), il n’en demeure pas moins vrai qu’il est tout à fait juste de déclarer que la France est l’un des pays les plus étatisés de la planète, en atteste ce tableau confondant ci-dessous (source Figaro 2015/OCDE) :
Pour ne rebondir que sur le haut de ce tableau ci-dessus, il s’avère que les trois champions du monde de la ponction étatique, à savoir le Danemark, la France, la Belgique, souffrent de sérieux problèmes de compétitivité, tout comme l’Italie qui est cinquième… La corrélation positive entre la part de l’Etat et le taux de chômage, ou négative entre la part de l’Etat et la croissance ou encore entre la part de l’Etat et la compétitivité est une donnée parfaitement établie et ce depuis très longtemps.
En démontrant la forte relation inverse entre accroissement des dépenses de l’Etat et croissance économique, ce graphique ci-dessous résume très clairement le mal français (source Eurostat/Iref) :
Enfin, s’il faut convaincre encore les incrédules quant aux difficultés économiques de notre pays, il suffit de rappeler que celui-ci a énormément perdu de sa compétitivité. Alors qu’il représentait 7% des parts du marché mondial industriel il y a 20 ans, il n’en représente plus que la moitié (l’Allemagne était aux alentours des 7% elle aussi, et s’achemine vers les 10%). Même notre part de marché mondiale dans le domaine moins concurrentiel des services a chuté de façon significative (-20%).
La plupart des indicateurs sont d‘ailleurs dans le rouge, que ce soit la balance commerciale qui est déficitaire de façon maintenant récurrente, ou le niveau de la dette de l’Etat qui fait courir un risque de faillite en cas de hausse des taux… Un chiffre résume toutefois à lui seul l’ampleur de notre déclin relatif : il s’agit de l’indice de richesse par habitant, mesuré très simplement via le PIB/habitant (ou GDP per capita). Ce chiffre que rien ne peut remplacer[1] décroche depuis 1975 par rapport au reste des pays riches (source OCDE/Trésor)[2] :
A force de décliner sur le plan économique, tout en vivant à crédit pour conserver le même niveau de protection sociale (ce qui fait illusion), la France en est arrivé à un niveau critique : elle représente à ce jour 1% de la population mondiale, 3,5% de son industrie, mais carrément 15% des transferts sociaux de la planète ! Un tel écart donne le vertige et augure des difficultés à venir. Sauf à redresser rapidement nos résultats économiques et commerciaux, un tel déséquilibre sera vite intenable dans un monde ouvert et dynamique…
Alors, libéralisme sociétal ou économique ?
De toute évidence, les urgences de notre pays se trouvent du côté des réformes économiques et non pas en matière de mœurs. Aucune minorité sexuelle ou culturelle ne soufre actuellement le martyr en France. La comparaison avec les pays les plus avancés sur ce plan là ne nous est pas spécialement défavorable. A l’inverse, mais cela ne semble pas vraiment mobiliser les belles âmes anti-libérales, la comparaison sur le plan du chômage et de l’appauvrissement de moins en moins marginal de la population devrait nous inciter à opter sans délai pour des remèdes radicaux. Car ce sont ces populations-là, les chômeurs et les pauvres que notre société génère plus que les autres, qui souffrent silencieusement. D’une double souffrance d’ailleurs: celle d’être sans ressources, à laquelle s’ajoute celle de ne pas faire partie des minorités à la mode sur lesquelles le politiquement correct ne cesse de s’apitoyer…
Il est devenu d’utilité publique de rendre chacun conscient du recul de notre économie et des priorités que cela implique. Ce n’est pas le libéralisme économique qui nous tue à petit feu, contrairement à ce que nombre d’anti-libéraux tentent de faire croire, mais bel et bien l’excès d’Etat, d’impôt et de redistribution. Ne nous laissons donc plus abuser par les discours politiques cools qui proposent de gentilles réformettes. Le pays a besoin de réformes forcément impopulaires, de ce « sale travail » qui est repoussé de gouvernement en gouvernement par manque de courage, voire d’élection en élection, comme cela vient d’être le cas lors du premier tour des présidentielles[3].
[1] non seulement l’indicateur composite proposé par J.Sieglitz ne donne pas un classement très différent mais il n’est pas non plus épargné par les critiques
[2] c’est dire si la France décroche encore plus par rapport aux pays devenus riches…
[3] l’éviction du seul candidat au programme de réformes libérales est consommé, tandis que l’on ne sait même pas si ce candidat a commis une infraction vis à vis de la loi ! Imaginons un instant qu’il y ait un non lieu. Les élections seront-elles annulées pour autant ? Ces présidentielles posent un réel problème de conscience.
20 juillet 2017 19 h 22 min
«Le libéralisme,inépuisable source de quiproquos» : à l’insu de votre plein gré,vous en donnez un magnifique exemple dans ce que ce que vous entendez par «libéralisme sociétal».
Montesquieu,au secours,reviens !
20 juillet 2017 20 h 09 min
Ce qui est sûr c’est que je ne comprends pas votre commentaire, et ce à l’insu de mon plein gré. Surtout que dans l’article, j’ai bien spécifié que je m’affranchissais de toute philosophie. J’ai d’ailleurs utilisé sciemment le mot « phénoménologie » pour éviter volontairement tout débat philosophico-historique mais ce fut à l’insu de votre plein gré. Au secours, Bachelard, reviens 🙂