L’analyse du profil des terroristes qui ont frappé sur le sol français depuis l’affaire Merah est ici régulièrement mise à jour. En ce mois de décembre 2018, et dans le cas où le suspect de l’attentat de Strasbourg serait confirmé, ce n’est pas moins de 20 individus dont le profil a été étudié, tant sur les plan sociologique, ethnique, familial que religieux. Comme l’indique les calculs probabilistes de la loi Normale (Laplace-Gauss), la fiabilité d’un échantillon commence à devenir intéressante à partir de la vingtaine[1]. Or que constatons-nous à présent ?
Le profil si stéréotypé du début se trouve parfaitement conforté ! Pire, une telle homogénéité pose la question d’éventuelles lacunes en matière de tracking des criminels potentiels. En effet, dans le domaine du marketing, lorsqu’un profil de clientèle apparaît aussi « typé », les techniques du datamining permettent très vite d’anticiper son comportement. En liant la succession de faits générateurs et en croisant avec les caractéristiques les plus déterminantes, il est en effet assez facile de déceler les clients ayant la plus forte probabilité de passer de nouveau à l’acte d’achat. Une question se pose alors : les services de sécurité bénéficient-ils de ces mêmes approches ? Font ils le maximum ?
A la lecture du profil des terroristes, la question reste plus que jamais d’actualité…
Une analyse factuelle du phénomène
Au diable les conjectures, le profil des terroristes est un élément avéré, tangible, indiscutable ! Considérer celui-ci devrait d’ailleurs constituer le préalable à toute tentative d’interprétation des actes perpétrés sur le sol français.
Le tableau ci-dessous mis à jour en décembre 2018 (attentat du marché de Noël de Strasbourg) relate de façon synoptique ces profils. Seuls les actes terroristes significatifs et dont les auteurs ont été clairement identifiés sont pris en compte. Ils sont au nombre de vingt :
Devant de telles ressemblances, deux constats s’imposent immédiatement :
-il s’agit bien d’un « stéréotype »
-le phénomène terroriste apparaît dans toute sa complexité.
Ces terroristes sont en effet tout aussi proches en matière d’origine familiale et sociologique qu’en terme d’ethnie. A l’inverse, seulement deux d’entre eux étaient réellement pratiquants. Tous les autres s’étaient convertis de façon aussi récente que radicale, dans des conditions d’ailleurs très particulières. Ces similarités sont donc troublantes, et permettent de rétablir les contre-vérités suivantes :
-L’Islam n’est pas la seule voire la principale cause
Pour rappel, le plus grand pays musulman de la planète est l’Indonésie et celui-ci ne se caractérise pas spécialement par une acception rigide et violente de l’Islam. Bien au contraire. Il en est de même pour les populations d’autres pays musulmans, comme l’Iran ou la Turquie (indépendamment des propos ou actions de leurs gouvernements respectifs). Il ne faut donc pas céder à l’amalgame. Mais il ne faut pas non plus oublier l’importance de l’Islam dans la trajectoire de ces terroristes : tous ont rencontré des extrémistes religieux, en prison le plus souvent, ou alors dans les cités. Ces derniers leur ont servi des discours en forme de justification à leur passage à l’acte. L’endoctrinement religieux, le culte de la violence et de l’anéantissement des populations impies, tout cela est bien évidemment encouragé par une lecture radicale du Coran.
–Le genre, l’origine ethnique et la structure familiale jouent un rôle considérable
Ce sont tous des hommes jeunes (19 à 31 ans). Treize d’entre eux (sur 20) sont issus d’importantes fratries[2]. Et dans la plupart des cas, ils ont été élevés dans une relative absence d’autorité paternelle si ce n’est parentale. Ce sont donc des enfants dont l’éducation s’est avérée partiellement défaillante en ce qui concerne ce processus si exigeant que constitue l’édification du Surmoi du futur adulte apte à la vie dans une société policée comme la nôtre.
De même que tous sauf celui d’origine tchéchène proviennent de familles d‘Afrique du Nord, du Maghreb sauf celui issu d’une famille malienne. L’unicité géographique reste donc particulièrement frappante : Algérie (8), Maroc (7), Tunisie (3) et Mali (1), tous géographiquement voisins de l’hexagone. La coïncidence ethnique ne tient d’ailleurs pas du hasard : ces quatre pays proviennent d’anciennes colonies ou protectorats français. Aucun Egyptien, Iranien, Indonésien (ou même Vietnamien, Espagnol, Italien ou Portugais) n’a encore frappé chez nous. Nombreux parmi ces terroristes, parmi lesquels l’avant dernier (Karim Cheurfi), vouaient une haine sans limite vis-à-vis de la France et des représentants de son autorité. Il subsiste de toute évidence un ressentiment vis-à-vis de l’ex-colonisateur, une sorte d’ambivalence amour/haine qui ne peut qu’aider au passage à l’acte lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies par ailleurs.
-La composante immigration est déterminante mais pas là où on croit
Cette dimension est certes déterminante puisqu’aucun de ces terroristes n’était d’une famille française de longue date. Tous sauf deux (le terroriste de Nice, de nationalité tunisienne et celui d’origine tchéchène dont les parents étaient réfugiés) proviennent de la seconde génération de l’immigration, cette génération qui, selon les sociologues, peine encore plus que la première à s’intégrer. Aux difficultés rencontrées par les parents, qu’elle a subies pendant toute son enfance, s’ajoutent en effet les siennes propres à l’école puis à l’entrée dans la vie active. Les parents ont choisi l’immigration, ils ont consacré leur énergie à survivre au changement de contexte culturel et ethnique. Mais les enfants ne sont pas mieux lotis pour autant, comme s’ils reprenaient le processus au stade auquel les parents l’on trouvé lorsqu’ils sont arrivés sur le sol français.
Pourtant, cette difficulté relative à l’immigration n’est pas celle que l’on croit : la grande majorité de ces terroristes avait un métier, une formation (certes limitée, sauf pour le Tunisien) et de quoi vivre ne serait-ce que décemment. Les difficultés de l’intégration sont donc ailleurs, du côté de la possibilité de faire jeu égal avec la population du pays d’accueil, sur fond d’un possible sentiment de rejet ou de désamour de part et d’autre (aspects physiques, accent, activités culturelles, valeurs)…
Il s’agit certes d’un échec sur le plan de l’intégration, mais celui-ci ne concerne pas directement l’aspect financier. Il se cristallise sur un autre plan, bien plus subtil et prépondérant : celui d’une véritable assimilation. En France, la sélection scolaire puis professionnelle fait apparaître en effet des inégalités criantes entre origines ethniques. Les statistiques sont formelles : ce sont les populations en provenance des pays musulmans, maghrébins ou africains (selon les études) qui affichent les taux de réussite scolaire et professionnel les plus bas[3]. Les écarts sont considérables, en ce qui concerne spécifiquement les garçons. Leur taux d’échec scolaire est dramatique, même en comparaison des filles de même origine, et encore plus par rapport aux immigrés d’autres provenances, dont certains font d’ailleurs jeu égal avec les français d’origine très ancienne.
Passage à l’acte multi-causal et simplifications médiatiques
Ainsi, le passage à l’acte de ces terroristes apparaît multi-causal. Il prend son origine dans la combinaison de plusieurs variables quasiment identiques d’un terroriste à l’autre. Il est évident que de telles similarités ne peuvent être fortuites, purement aléatoires. Elles prouvent au contraire combien c’est l’association de ces variables qui semble détonante.
Est-ce à cause de cette complexité que le concert médiatique et les polémiques qui parcourent l’hexagone visent à réduire ce terrorisme à des causes simples et parfaitement circonscrites ? Est-ce parce que le travail journalistique de type pédagogique a moins souvent cours de nos jours ? Est-ce parce que les hommes politiques ne se sentent pas eux-mêmes le courage de nommer cette complexité et préfèrent en profiter pour dissimuler leurs propres responsabilités ?
A contre courant de cette tendance, voici donc un schéma qui résume les différentes causalités vraisemblablement liées à l’origine du passage à l’acte de ces terroristes :
Des responsabilités hexagonales qui remontent à la surface
A la lecture de ce schéma apparaît en filigrane la longue liste des responsabilités hexagonales :
-regroupement familial et immigration peu ou pas du tout sélectifs en provenance d’une Afrique du Nord musulmane dont le ressentiment anti-français est extrêmement puissant et dont la distance culturelle qui la sépare de notre civilisation européenne concerne des dimensions essentielles et parfois rédhibitoires ;
-intégration de la première génération d’immigrés souvent laborieuse et qui se réalise inévitablement au préjudice de la qualité de l’éducation des enfants mâles et de leur assimilation dans la société française ;
-difficultés encore plus grandes pour la seconde génération sur le plan culturel, scolaire et familial, cette génération de garçons se trouvant souvent en porte à faux vis-à-vis des parents (immigrés volontaires) et vis-à-vis du pays d’accueil dont ils refusent de respecter les lois et les valeurs ;
-radicalisation islamique et enrôlement particulièrement répandus et efficaces pendant les périodes d’emprisonnement (ce qui est un comble) et dans certaines cités ;
-prévention très perfectible, puisque tous ces criminels étaient connus des services de police, onze d’entre eux avaient fait de la prison (dont le dernier plus d’une vingtaine de fois !), et quatorze étaient fichés, l’un d’entre eux ayant même pu conserver son autorisation de port d’arme malgré cela !
A moins de changements radicaux, il est évident que le phénomène en question n’est pas prêt de se tarir. Plutôt que pilonner les positions de Daesh en Syrie et en Irak comme elle l’a fait en 2016, avec un profil de terroriste aussi homogène, la France n’aurait-elle pas intérêt à muscler ses techniques d’investigation et d’anticipation?
[1] En dehors de tout biais bien évidemment. Cet échantillon n’en est d’ailleurs pas un puisqu’il représente la totalité des terroristes qui ont frappé en France depuis Merah. Il s’agit donc de ce que l’on nomme une « population mère », à la fiabilité indiscutable puisqu’il n’existe rien de mieux à ce jour…
[2] les analyses du Docteur Rik Coolsaet pour The Guardian dans Les Echos du 11/2015 sont confondantes sur le sujet
[3] Voir les travaux tous confondants de Nicolai Sennels, Atlantico 04/2016 ; de l’Ined, Figaro 10/2010; et de Claudine Attias-Donfut, Figaro 10/2009
15 décembre 2018 5 h 40 min
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