Revenons un instant sur la définition de la démocratie. Selon le dictionnaire Larousse, elle est « un système politique dans lequel la souveraineté émane du peuple ». Selon le CNRTL (CNRS) il s’agit d’un « régime politique, système de gouvernement dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens ».
En un mot, l’Etat est au service du peuple et les gouvernants sont élus par le peuple pour la gestion des affaires dudit peuple. Ainsi, dès lors que celui-ci se retrouve au service de l’Etat, dès lors que le gouvernement prend des décisions pour son propre intérêt et en défaveur de celui du peuple, nous quittons les territoires de la démocratie et nous nous rapprochons de ceux plus obscurs de la dictature.
Il existe certes un long chemin entre la démocratie parfaite et la dictature consommée. Ceci dit, ce long chemin est constitué d’un ensemble de décisions politiques qui, prises séparément, peuvent sembler anodines voire totalement anecdotiques. Mais ne soyons surtout pas naïfs : lorsque ces décisions politiques sont systématiquement orientées dans la direction opposée, il devient évident que la démocratie perd du terrain et que le peuple se trouve potentiellement en danger.
C’est exactement ce qui se déroule sous nos yeux, de façon de moins en moins subtile d’ailleurs, comme si l’auteur de ce glissement sinistre, tel un apprenti sorcier, ne se rendait même pas compte de ses propres démons. Ceci bien sûr au nez et à la barbe de médias dont certains ont perdu leur capacité de résistance critique. Ceci également au nez et à la barbe de nombreux Français qui se sentent désorientés par cet infâme gloubi-boulga de mensonges et de pseudo morale qui nous est quotidiennement servi par le gouvernement.
Il est clair que depuis la campagne présidentielle et son élection, Emmanuel Macron multiplie des signaux inquiétants, des signaux qui vont tous dans la même direction… La liste est longue et doit nous faire réfléchir :
Candidat furtif à la présidentielle
Lorsque l’on postule au poste suprême et que l’on s’engage donc à servir le peuple, la moindre des choses consiste à annoncer à l’avance un programme, une politique et des ambitions claires et chiffrées. Plus qu’une question de politesse, c’est une affaire de respect des électeurs. Plus encore, c’est accepter le jeu démocratique électoral en prenant le risque d’obtenir éventuellement moins de voix qu’un candidat concurrent dont le programme serait éventuellement perçu comme plus judicieux.
Or, Macron s’est comporté de façon diamétralement opposée en déclarant qu’un programme n’avait pas « vocation à être au cœur d’une campagne présidentielle », en restant volontairement évasif sur ses intentions politiques, en renvoyant dos à dos les différentes sensibilités politiques puis en noyant tout cela dans une espèce de triangle des Bermudes appelé « centre » comme si celui-ci était le lieu géographique de l’équilibre politique et la solution au déclin social français.
A l’instar d’un futur autocrate, Macron a donc tenté d’embrouiller les enjeux de la campagne et a joué à fond la carte du charisme personnel, qualité dont il n’est d’ailleurs pas dépourvu. Hélas, le charisme, comme disent les psychologues, c’est quelque chose qui ne se raisonne pas et qui agit directement sur l’inconscient, aux dépends de la réflexion logique. Plutôt que de présenter un projet, une ambition, une route à suivre pour le bien-être du pays, plutôt que de permettre au peuple de décider cartes sur table de son avenir, Macron a tenté de séduire par sa personne.
Ennemi des contre-pouvoirs
Très tôt, Macron a tenté de choisir les médias devant suivre ses déplacements. En réaction, ainsi que le relate BFM (05/17) « une quinzaine de sociétés de journalistes, des directeurs de rédaction et l’organisation Reporters sans frontières (RSF) ont écrit jeudi à Emmanuel Macron pour protester contre l’organisation de sa communication, notamment du choix des journalistes l’accompagnant dans son déplacement au Mali ». Cette tentative apparemment anodine est un invariant typique des régimes totalitaires. N’oublions jamais : la manipulation de l’information est l’un des graals du pouvoir absolu.
Un peu plus tard, comme le révèle Médiapart (09/18), « l’Élysée a recalé le candidat choisi par le Ministère de la justice pour devenir procureur de Paris ». Une telle décision confirme l’existence d’une véritable immixtion de l’Etat dans une institution qui devrait au contraire afficher la plus totale des indépendances. Est-il nécessaire de rappeler que l’État de droit implique « la prééminence du droit sur le pouvoir politique …/… et que tous, gouvernants et gouvernés, doivent obéir à la loi[1] » ?
Enfin, plus récemment encore, suite à des révélations du président lui-même à des journalistes, l’un d’entre eux, Claude Askolovitch déclare (Slate 02/19) : « notre président de la République veut réordonner notre monde; nous manquons de vérité, il va y remédier. Il veut «s’assurer de la neutralité» et «vérifier l’information» dans les médias, en créant des «structures», financées par l’État, qui contrôleraient médias publics et privés, structures nanties de journalistes qui seraient les «garants» de l’affaire. Notre président de la République, disons simplement, veut mettre le journalisme sous tutelle, telle une classe sociale assistée dont il faudrait encadrer les «conneries»…
Dans cet article, Askolovitch cite également celui d’Emmanuel Beretta dont les propos sont les suivants (Le Point 02/19), citant le président concernant l’information: « Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part-là, la vérification de l’information, il y ait une forme de subvention publique assumée, avec des garants qui soient des journalistes ». Ce désir de museler les médias par le biais d’une structure dans laquelle l’Etat aurait forcément un pouvoir considérable est en soi quelque chose de passablement dangereux.
Dans une démocratie, justice et médias constituent des contrepouvoirs essentiels, des contrepouvoirs dont le président apprécierait pourtant bien d’en réguler l’indépendance.
Organisateur puis animateur autoproclamé du « grand débat »
Alors que la crise sociale ne faiblit pas, et que les raisons du mouvement des gilets jaunes sont toujours prégnantes et exigent une réponse digne de la situation, Macron propose un « grand débat » qu’il organise lui-même via un site internet, des réunions en mairies et des émissions co-animées par Cyril Hanouna et la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, émissions intitulées « balance ton post » ! Un grand cirque donc, dont sans surprise de nombreux commentateurs se gaussent tous les jours.
Loin d’être amusant, ce grand barnum en dit terriblement long sur l’irresponsabilité du président. Bien que le chômage de masse se maintient à un niveau élevé, bien que la pression confiscatoire (sur l’essence, les impôts et les limitations de vitesse) soulève un mécontentement croissant de la population, bien que le mouvement des gilets jaunes bénéficie toujours d’un soutien populaire important (JDD 02/19), bien que lui-même souffre d’une côte de popularité critique et constitue intuitu personae l’un des motifs des récriminations de la rue, Macron ose animer lui-même des grands débats dans certaines municipalités.
Ainsi le voit-on sur les photos tenant un micro d’une main, levant l’autre comme s’il se donnait en spectacle. On imagine sans effort qu’il gère à la fois les questions et les réponses des pauvres participants venus pour assister à son show improvisé, forcés de l’admirer jusqu’au bout dans ses démonstrations d’énarque omniscient… Ce mélange des genres est affligeant car il piétine le respect populaire et ne semble viser qu’une seule chose : rester maître du jeu, et décider de ce qui ressortira de la consultation populaire.
Cette consultation populaire n’en a d’ailleurs que le nom. Elle n’offre en effet aucune garantie quant à la véracité de ce qui aura été exprimé, l’Etat restant à la fois organisateur, animateur, influenceur et dépouilleur des remontées ! Non seulement Macron est dans ce cas juge et partie, mais il est également l’une des causes du problème dont il faut débattre ! Il cumule ainsi ces trois fonctions irréconciliables sans la moindre vergogne, donnant à ce grand débat les apparences d’une véritable pantomime de dictature d’opérette. Le fait que la fille de son épouse anime elle-aussi l’un des débats vient finir de parachever le tableau : celui d’une déconstruction brouillonne mais délétère du mécanisme démocratique de consultation populaire[2].
Pourfendeur du droit de manifester
Le tout récent vote de la loi « anti-casseurs » s’inscrit hélas dans la même ligne. Que le gouvernement veuille maintenir l’ordre est tout à fait légitime. Mais la limite est ténue entre une loi qui vise la sécurité de tous, et une loi aux contours « liberticides », ainsi que le dénonce Amnesty International. Dans une interview, l’un de ses responsables, en charge du domaine des libertés, Nicolas Krameyer ne mâche pas ses mots (Euronews 2/19) : « Ce n’est plus la justice qui dira « cette personne est un danger en manifestation », mais le relais du pouvoir exécutif, qui pourra décider d’interdire à une personne de manifester. C’est une porte ouverte très claire à l’arbitraire ».
Le mouvement des gilets jaunes exprime un profond mécontentement social. Or, les violences policières, le noyautage étatique du grand débat tout comme le vote de la loi « anti-casseurs » laissent supposer qu’au lieu de combattre les causes des revendications, le président semble enclin à les empêcher par tous les moyens.
Tous ces signaux ont un indiscutable point commun qui révèle sans fard la tentative d’une mainmise du pouvoir présidentiel sur la vie de la cité. La question qui interpelle à présent est celle-ci : Macron fait-il cela en connaissance de cause ou simplement par inconséquence ? Nous ne le saurons sans doute jamais. Mais peu importe, le mal est là, et continue de se répandre.
[1] Définition de Wikipédia, parmi tant d’autres
[2] Loin de l’auteur l’idée de préconiser un référendum, celui-ci étant très dangereux si la question est mal posée et trop simpliste. Mais au moins garantit-il la transparence de la consultation…
11 février 2019 6 h 35 min
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