Il fut un temps où en France, la classe politique bénéficiait d’une certaine aura de crédibilité, les affaires étaient rares et probablement plus discrètes. Or, ces dernières années, et très nettement depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, l’image de nos hommes politiques s’est considérablement dégradée. Les affaires sont en effet nombreuses, et l’impression diffuse que les enquêtes traînent en longueur ne fait qu’alimenter cette défiance des citoyens, une défiance qui atteint à présent des sommets. Selon le dernier sondage Opinion Way[1], seulement 22% des français interrogés font confiance au gouvernement et 23% au président[2]. Comment s’en étonner ?
Parmi ces affaires, celle concernant Benalla revêt une dimension toute particulière. Il est en effet difficile de ne pas la considérer comme profondément révélatrice de la décomposition morale qui touche actuellement le sommet de l’Etat. Véritable homme de main recruté par le président lui-même pour assurer sa sécurité, Benalla a été filmé le 1er mai 2018 en train de frapper violemment un manifestant à coups de matraque. Une fois l’individu formellement identifié sur la vidéo, le directeur du cabinet du président, Patrick Strzoda, s’est permis de justifier son port de l’uniforme de policier ainsi : « ll m’en a demandé l’autorisation, je la lui ai donnée, mais en précisant bien qu’il y allait en observateur ». On croit rêver.
Finalement, le 19 juillet 2018, le porte-parole de l’Elysée Bruno Roger-Petit assure que Benalla a été sanctionné par une mise à pied de 15 jours sans salaire et rétrogradé à des fonctions d’organisation interne à l’Elysée. Or l’individu continue d’apparaître aux côtés du président, et accompagne même l’équipe de France de football à son retour de la coupe du monde. « Il était en charge de la logistique des bagages » déclarera sans rire Christophe Castaner. Encore plus ahurissant, n’étant même pas au courant du recrutement de Benalla, le ministre de l’intérieur d’alors, Gérard Collomb, saisit l’IGPN pour une enquête interne à la police. Afin de mettre un terme à ces cafouillages parfaitement crapoteux, l’Elysée annonce enfin le licenciement de l’individu. Nous voici rassurés.
Sauf que six mois plus tard, Benalla se rend au Tchad en avion privé avec une délégation afin d’y rencontrer le frère du président tchadien, ceci quelques jours avant l’arrivée du président Macron (Le Monde 24/12/18). Ce qui ressemble méchamment à une visite officielle est alors démenti par l’Elysée. Mais en janvier 2019, Médiapart révèle que Benalla dispose toujours de ses deux passeports diplomatiques. Pour se disculper, le porte-parole du ministère des affaires étrangères déclare avoir demandé leur restitution et dénie la moindre délégation d’autorité à l’individu : «Toute utilisation depuis lors de ces passeports aurait été faite en dépit des engagements pris par l’intéressé » (Figaro 22/01/19). Mais derrière cette réaction maladroite, on devine que le quai d’Orsay n’a bien évidemment pas signalé la non-restitution desdits documents[3]. Surtout qu’au même moment, coup de théâtre, l’entourage de Benalla affirme que ces passeports lui ont été restitués en octobre !
A ce jour, pas moins de cinq procédures judiciaires sont lancées contre Benalla, parmi lesquelles deux mises en examen, l’une pour violences commises pendant le défilé du 1er mai, l’autre pour usage frauduleux de passeports diplomatiques. Il reste néanmoins difficile de ne pas supposer que cet ancien collaborateur de Martine Aubry, de François Hollande puis d’Arnaud Montebourg, qui bénéficiait de nombreux avantages liés à sa fonction[4], ne soit pas protégé au plus haut niveau de l’Etat. Lors de la perquisition un peu tardive (juillet 2018) à son domicile, comme par hasard, l’armoire-forte dans lequel il rangeait ses armes et autres documents potentiellement compromettants avait disparue. « Elle a dû être emmenée dans un lieu sûr par une personne mais ce n’est pas moi qui me suis occupé de cela » dira même l’intéressé !
Voilà que tel un feuilleton à rebondissement, l’affaire Benalla refait de nouveau surface avec, il y a quelques jours, l’annonce par le Parquet de Paris qu’une enquête a été confiée à un juge d’instruction afin de vérifier une possible « soustraction de documents ou objets concernant un crime ou un délit en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité » (L’Obs 14/11/19). Mais n’était-ce pas un peu tardif, plus d’un an après les faits ?
Les affaires rapidement traitées, et les autres…
Force est de constater que la justice ne se précipite pas vraiment pour élucider toutes ces étrangetés autour de Benalla. Il en a été un peu de même pour les suspicions concernant les mutuelles de Bretagne et leur ancien directeur, Richard Ferrand. Celui-ci avait certes quitté le gouvernement en 2017, suite à l’exhumation des révélations du Canard enchaîné concernant la location par ces mutuelles de locaux appartenant à sa compagne. Mais l’enquête préliminaire lancée en juin 2017 a été classée sans suite dès octobre. Anticor avait alors déposé une plainte et c’est celle-ci qui a conduit l’ancien ministre de la Cohésion des territoires et actuel président de l’assemblée à sa récente mise en examen, longtemps après les faits.
En comparaison, Jérôme Cahuzac et Patrick Balkany ont été rapidement et sévèrement sanctionnés pour fraude fiscale. Quant à François Fillon, la célérité de l’enquête n’avait de toute évidence qu’un seul but, lui interdire la victoire, puisque près de trois ans plus tard, celle-ci n’est toujours pas conclue.
Les millions d’euros soi-disant volatilisés du patrimoine d’Emmanuel Macron n’ont quant à eux fait l’objet d’aucune investigation. Ceci malgré la révélation du Canard enchaîné (01/06/16) relancée pendant la présidentielle de 2017, ceci malgré les tentatives de l’IREF de diligenter une enquête (Les Crises, 23/10/18).
Absence de morale mais beaux discours
Le fait que le président ait osé proposer son ancienne ministre des armées Sylvie Goulard au poste de commissaire européen confirme s’il en est besoin le peu d’attention qu’il porte à l’éthique. Condamnée pour des emplois fictifs (elle aurait remboursé 45 000 € depuis) et suspectée pour ses rémunérations par le think tank Berggruen alors qu’elle était pourtant députée à la commission européenne (Les Echos 10/10/19), le refus de cette dernière n’a rien de surprenant dans un continent dont de nombreux pays membres sont imprégnés de culture anglo-saxonne.
Le recrutement de Christophe Castaner renforce cette impression d’amoralité du président. L’actuel ministre de l’intérieur a été en effet condamné dans les années 90 pour « diffamations et injures publiques envers particulier, fonctionnaire ou citoyen chargé d’un service public par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel » (L’Obs, 9/08/19).
Il en est de même pour la ministre du travail, Muriel Penicaud, au sujet de laquelle deux enquêtes sont diligentées suite aux suspicions de favoritisme en faveur d’une agence de publicité, notamment lors de l’organisation en janvier 2016 d’une coûteuse soirée à Las Vegas pour le ministre des finances de François Hollande, Emmanuel Macron (Les Echos, 18/09/19).
A cela s’ajoutent un député LREM poursuivi pour abus de confiance, Mustapha Laabit (L’Express, 2/01/19) ; les dépenses fastueuses de François de Rugy ; l’éphémère ministre des sports Laura Flessel dont la société est suspectée d’irrégularités par le fisc selon le Canard enchaîné et Médiapart ; l’ex-ministre de la culture Françoise Nyssen, un moment en situation de conflit d’intérêt au gouvernement et sous investigation pour des irrégularités en matière d’urbanisme ; les éphémères ministres de la justice François Bayrou et des affaires européennes Marielle de Sarnez tous deux suspectés d’emplois fictifs d’assistants au parlement européen (Les Echos, 18/09/19) ; M.El Guerrab, ex député LREM qui a frappé à coups de casque un cadre du PS entre autres (Marianne, 31/08/18)…
Un gouvernement pas comme les autres…
Alexandre Benalla, Richard Ferrand, Christophe Castaner, François de Rugy, Sylvie Goulard, Muriel Penicaud, Laura Flessel, Mustapha Laabid, M.El Guerrab, François Bayrou, Marielle de Sarnez, cela commence à faire beaucoup de turpitudes et de questionnements autour d’un gouvernement et de son affilié de parti politique LREM.
Bien sûr, il y avait les affaires concernant Jacques Chirac, puis celles plus nombreuses entourant Nicolas Sarkozy, affaires dont il faut rappeler toutefois qu’aucune pour le moment ne lui a valu d’être condamné[5]. Ceci étant dit, pour un gouvernement dont le président Emmanuel Macron s’était personnellement engagé à restaurer les valeurs d’éthique au sein de la vie politique, la promesse s’est transformée en un sombre record. Tant les choix malheureux du président dans le recrutement de ses collaborateurs que la lenteur de la justice inspirent à présent la plus haute méfiance. Très loin des standards anglo-saxons, ce gouvernement dégage une forte odeur d’amoralité. Son indifférence à l’éthique ne cadre bien évidemment pas du tout avec ses discours, ce que les Français, à la lecture des sondages, ont très bien compris.
[1] janvier 2019
[2] (cumul de « plutôt confiance » et de « très confiance »).
[3] Aucune réponse n’a été donnée à cette question du journaliste du Figaro !
[4] « Voiture équipée de dispositifs policiers, appartement dans une dépendance de l’Elysée, haut grade dans la réserve citoyenne », tels étaient les avantages liés à sa fonction (BFM 24/07/18)
[5] Sans préjuger des suites que donneront les investigations en cours