Sérieux couacs au somment du gouvernement. Est-ce le début de la fin du couple de l’exécutif, ou un astucieux jeu de rôle entre les deux protagonistes? Analyse
Selon plusieurs médias[1], Emmanuel Macron aurait personnellement contacté des journalistes ce lundi pour leur exprimer son désaccord quant à la décision d’Edouard Philippe de maintenir mardi la présentation du plan de dé-confinement à l’Assemblée ainsi que le vote des députés. Est-ce le début de la fin du couple de l’exécutif, ou un astucieux jeu de rôle ? Le fait que le Président se soit prononcé ce mardi même pour démentir avec véhémence l’existence de tensions mérite de s’attarder sur la question.
Le trop puissant démenti du Président
« L’ensemble de l’exécutif est pleinement aligné dans cette crise. Je n’aurai aucune complaisance à l’égard de ceux qui par des bruits et des rumeurs tentent de diviser le gouvernement et singulièrement le Premier ministre et le Président de la République » a donc déclaré Emmanuel Macron ce mardi matin en conseil des ministres. Par deux fois même, le Président est revenu sur le sujet.
Très souvent, quand une rumeur est bénigne, elle est ignorée. Ce n’est que lorsqu’elle a pris une certaine ampleur qu’elle incite la victime à sortir du bois et à confirmer ou pas son authenticité. L’existence d’un démenti ne signifie pas pour autant que la rumeur soit fondée. Mais cela donne une première indication quant à l’éventuel courroux ressenti par la victime. Ce courroux peut d’ailleurs porter sur le contenu même de la rumeur, ou sur la propagation de celle-ci.
Le cas le plus défavorable se rencontre bien sûr lorsque le contenu de la rumeur est compromettant, et que sa diffusion est maximale. En réalité, il s’agit toujours du regard de l’Autre, dont la victime peut souffrir, et dont elle va tenter de s’affranchir par le démenti. Le danger, pour la victime, réside toutefois dans la réalimentation de la rumeur, car cela exige de nouveaux démentis. Or pas plus tard que l’après-midi même du démenti du Président, de nouveaux éléments sont venus semer le doute, alimentant de nouvelles suspicions de mésentente au sein du couple de l’exécutif.
Je t’aime moi non plus ?
Plusieurs médias ont en effet détecté ce mardi des divergences entre les annonces du Premier ministre en matière de plan de dé-confinement, et ce qu’avait précédemment avancé le Président. Pour Olivier Bost (RTL 29/04/20), le premier ministre a clairement douché les espoirs de dé-confinement du 11 mai claironnés par le Président.
Les « jours heureux » jadis promis se sont transformés en « jours meilleurs » dans la bouche d’un Edouard Philippe mesuré, qui a parlé d’un « confinement moins strict » en réalité, plutôt que de ce qu’avait peut être un peu trop hâtivement fait miroiter le Président…
Ou chacun dans son rôle ?
Ce n’est certes pas la première dissension au sein du couple de l’exécutif. L’épisode des Gilets jaunes avait déjà laissé entrevoir un possible divorce. Mais à cette époque, le premier ministre avait lui-même réagi, en déclarant de façon tout à fait convaincante : « Ma mission c’est d’atteindre les objectifs qui ont été fixés par le président de la République. Je le fais avec le soutien de la majorité …/… et avec la confiance du président. Et c’est ce qui m’importe »[2].
Un an plus tard, un nouveau désaccord surgissait à l’occasion de l’improbable limitation de vitesse à 80km/h, mesure dont le Président s’était dédouané sans scrupule auprès des journalistes : « Je n’y suis pour rien dans cette affaire. C’est le Premier ministre, et c’était une connerie. D’ailleurs, cette mesure n’était pas dans mon programme»[3]. A cette époque, face à un tel reniement, beaucoup pariaient déjà pour le départ d’Edouard Philippe. Mais il n’en a rien été.
Ainsi peut-on envisager derrière la solide durabilité du couple de l’exécutif actuel un astucieux partage entre deux rôles complémentaires : au Président les grandes orientations et le rêve qui va avec, au Premier ministre les difficultés opérationnelles et les retours de manivelle. Ce partage des rôles est l’essence même du tandem au sommet de l’Etat. Il est constitutif des responsabilités de chacun. Il permet par ailleurs de tâter le terrain et de minimiser les réactions populaires. Très naturellement, chaque citoyen espère que le « bon » l’emportera sur le « méchant », ce qui fait toujours gagner du temps.
Le coronavirus de la division
Il n’empêche que l’épisode actuel semble nettement plus sérieux. Au tel point que des médias comme l’Express et Gala ont titré respectivement : « Quand Macron saborde son Premier ministre auprès des journalistes » et « Emmanuel Macron au bord du divorce avec Edouard Philippe ». Comment en effet ne pas sentir dans ces tiraillements les prémices d’un remaniement que la mauvaise gestion de la pandémie risque de rendre inévitable ?
Au moment des gilets jaunes, personne n’avait démenti quoi que ce soit et la situation paraissait en réalité très solide. Suite aux critiques présidentielles concernant les limitations de vitesse, c’est le premier ministre qui avait démenti, en faisant d’ailleurs clairement acte d’allégeance, ce qui là aussi fournissait un gage de robustesse de leur relation.
Dans la séquence actuelle, c’est le Président qui a émis des critiques puis qui aussitôt s’est fendu d’un démenti. Cette configuration est donc très différente. Elle peut se justifier de cette façon :
-le Président a planté un coup de poignard dans le dos de son premier ministre car ce dernier a mis en exergue l’inconséquence de ses propos lorsqu’il a fait miroiter un rapide retour à la normale.
-le Président est le responsable in fine de la grave impréparation et des mensonges du gouvernement face à la pandémie. Quand il lui faudra rendre des comptes sur le nombre de décès et la longue mise à l’arrêt de l’économie, s’il veut sauver sa tête et terminer son mandat, il lui faudra sacrifier son principal fusible.
Probablement Emmanuel Macron préparait-t-il déjà le terrain lorsqu’il a parlé d’un « gouvernement de concorde » lors de son allocution du 11 avril. Se donner l’allure d’un rassembleur, court-circuiter son propre gouvernement, construire quelque chose qui a l’apparence du neuf et qui soit porteur d’espoir malgré le désastre, tel est sans doute le premier volet du plan. Un plan dont l’unique but consiste à survivre à la déroute pandémique dont il est le responsable. Un plan dont le premier ministre fera très certainement les frais.
[1] L’Express et Le Point (20 Minutes 28/04/20)
[2] Huffpost 6/12/18
[3] Le Parisien 27/01/19
30 avril 2020 2 h 46 min
Des dissentions au sein d’un gouvernement sont normales, même dans tous les pays. Gouverner c’est choisir et trancher, ce qui ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Le problème en France c’est que les tiraillements se situent à un tout autre niveau. On se croit dans une cour de maternelle. Ce ne sont pas les buts, les actions ou autres réalités de gouvernement mais des rivalités de personnes avec coups tordus à la clef. Sur quelle planète vis la France ?
1 mai 2020 9 h 59 min
Oui, c’est le problème, tout simplement parce qu’une grande partie de la population ne comprend rien à l’économie et vote avec les yeux…
1 mai 2020 22 h 06 min
Bien vu !
1 mai 2020 9 h 57 min
Article paru dans Contrepoints : https://www.contrepoints.org/2020/05/01/370406-macron-philippe-de-leau-dans-le-gaz