François Lenglet qui présente un hit-parade des ministres qui ont le plus augmenté les impôts, sur trois colonnes, la première qui indique le nom du premier ministre, la seconde le pourcentage d’augmentation, et la troisième la période concernée, pour accuser ensuite F.Fillon d’avoir augmenté les impôts presque autant que l’actuel premier ministre, c’est presque comme si l’on présentait un classement des premiers ministres en fonction du nombre de jours de pluie, ou en fonction des températures moyennes. Car la prise de décision d’augmenter les impôts (et de cibler telles ou telles catégories de contribuable) dépend tellement d’éléments domestiques tout comme internationaux qu’elle ne peut être jugée en soi et indépendamment du contexte. Pour parler clair, lorsqu’il y a imbrication de variables exogènes, a fortiori lorsque la plupart d’entre elles ne sont pas sous contrôle, raisonner de manière non « systémique » est une hérésie intellectuelle.
De qui se moque-t-on ? Est-ce que la science économique est une discipline si complexe qu’il faille oser résumer à ce point et de façon aussi perverse l’information ? Ni l’incroyable période de croissance économique du mandat de Jospin, due à la providentielle hausse du dollar (et d’ailleurs les économies européennes en ont profité également, avec des taux de croissance à faire rêver) ni l’arrivée de la crise bancaire pendant le mandat de F.Fillon (une crise dont on dit qu’elle est la plus violente depuis celle de 1929, excusez du peu) sont des dimensions qui ont été ne serait-ce qu’évoquées par le journaliste François Lenglet et rappelées sur sa liste accusatrice. Il a fallu bien sûr que l’interviewé tout d’abord encaisse le choc, puis tente ensuite de compléter l’information, mais le mal était fait, et pour peu que François Lenglet interrompe sa victime et l’empêche de terminer, et le mal devenait définitif.
Une telle liste, unidimensionnelle, et donc fondamentalement faussée, livrée brute de fonderie à des millions de téléspectateurs, constitue une excellente opportunité pour faire passer des messages tendancieux et pour embrouiller un peu plus les gens qui cherchent à comprendre la complexité de leur environnement. De fait, présenter ce genre de hit-parade est une faute journalistique, tout comme la une du Figaro d’il y a quelques années qui représentait la courbe de la dette de l’Etat année par année, avec la photo des premiers ministres successifs correspondants aux dates, sans même ne serait-ce qu’une présentation conjointe de la croissance économique (c’était pourtant le minimum que l’on puisse exiger sur le même graphique), ni même l’affichage des décisions prises par les premiers ministres précédents (au hasard : recrutement massif de fonctionnaires, mise en place des 35H, ce n’est pas rien tout de même) de nature à impacter les années qui suivent…
Ce genre de journalisme grossier, finalement incompétent ou pervers (car il n’y a que deux cas de figure : soit le journaliste ne le fait pas exprès, soit il le fait sciemment pour servir son camp) reflète on ne peut mieux ce trait si français, ce mélange d’ignorance économique (en atteste un sondage en 2011) et d’inconséquence qui prolifère sur fond d’endoctrinement idéologique chez la plupart des média et des citoyens qui en pincent pour la chose étatique… C’est ce mélange détonant qui a ainsi permis à la quasi-totalité de la sphère médiatique de se mobiliser contre N.Sarkozy dès son élection afin de préparer l’alternance, puis a fait que la dernière élection présidentielle se soit déroulée en évitant allégrement d’évoquer l’ampleur de la crise française et les efforts inévitables à consentir pour la combattre, phénomène étrange au point de stupéfier nos voisins. Avec pour résultat logique et parfaitement mérité l’élection d’un candidat dont le programme est impossible.
Il est donc clair que ce défaut de vigilance, ce manque d’acculturation au monde économique, cette inconscience des mécanismes contemporains, cette frivolité intellectuelle indigne d’une démocratie moderne, cette dangereuse myopie française a de beaux jours devant elle : n’est-elle pas savamment entretenue, cultivée, choyée, nourrie chaque jour un peu plus par les média français ?