15 Mar 2013

La république des fonctionnaires

Category: Société (pervertie)Léo @ 16 h 05 min

Dans une économie globalisée, dans un monde qui se livre à une guerre commerciale sans merci où chacun des pays pauvres veut se faire une place au soleil, il est devenu évident depuis longtemps que le pouvoir politique est d’autant plus adapté qu’il est  compétent en matière de guerre industrielle et économique.

Pendant les périodes sanglantes de notre histoire, il nous fallait des chefs de guerre, des stratèges de la force militaire, des spécialistes du conflit armé. Même s’il n’est pas totalement révolu, ce temps-là a laissé la place à un monde qui n’est d’ailleurs pas forcément moins violent (il serait naïf de croire le contraire), mais qui toutefois  exige des compétences totalement différentes : plus codifiés, moins directs et plus différés dans leurs conséquences, les conflits économiques et commerciaux actuels sont en effet régis par des règles d’une sophistication extrême, et il va de soi que pour être efficace, un gouvernement ne peut pas ne pas être parfaitement imprégné de macro-économie, de micro-économie, de veille technologique, de commerce et de finance internationale. Sinon, comment pourrait-il s’y prendre ?

Par rapport à ce contexte actuel dont les manuels d’histoire diront forcément qu’il s’est caractérisé par l’intensification des flux financiers et des échanges commerciaux à l’échelle planétaire comme jamais auparavant, avec une concurrence acerbe et généralisée entre pays développés à forts coûts de main d’œuvre et pays moins riches à faibles coûts de main-d’œuvre, il suffit de regarder la façon dont la France choisit ses élites politiques pour prendre peur : combien de chefs d’entreprises ont accédé à la responsabilité suprême de chef de l’Etat ? Combien de nos ministres se sont illustrés dans le monde de l’industrie ou des services ? Combien dénombre-t-on de spécialistes de l’économie ou du commerce international parmi ceux qui nous dirigent ?

Ô stupeur, le gouvernement français actuel tout comme la plupart des gouvernements précédents, se caractérise par la prédominance d’un profil qui s’avère aux antipodes de ce qu’exige ce paradigme de guerre économique féroce : le fonctionnaire, c’est-à-dire l’employé de l’Etat ou des collectivités, l’individu dont le métier est par définition « d’administrer les citoyens » ! Imaginons un instant que la France soit une entreprise internationale : la division des ventes et du marketing serait dirigée par des gestionnaires administratifs, les RH seraient dirigées par des gestionnaires administratifs, la R&D serait dirigée par des gestionnaires administratifs, les usines de production et les bureaux commerciaux seraient dirigés par des gestionnaires administratifs… On imagine rapidement la capacité d’une telle entreprise à survivre face à ses concurrents les plus agiles.  

Il est certes vrai que dans un pays centralisé comme la France, ce profil administratif a sans doute eu son intérêt par le passé, mais comme le démontre parfaitement le sociologue Michel Crozier, lorsqu’un service administratif a vu le jour, il croît et ne sait pas faire autrement. Pourquoi ? Parce que le monde administratif est un monde « financé » qui vit de la manne des impôts, et qui n’a donc pas à se remettre en cause pour assurer sa survie. En ce sens, ce monde fonctionne sur un principe totalement différent de celui des sociétés, aucune entreprise privée ne pouvant bien évidemment survivre sans remédier à ses éventuels sureffectifs le moment venu, ne serait-ce que momentanément. Intrinsèquement, ontologiquement, naturellement, le monde de la fonction publique est un monde « protégé » : jamais en prise directe avec la concurrence, jamais poussé à s’améliorer ou à s’adapter pour ne pas disparaître, jamais challengé, il constitue par la force des choses un havre de tranquillité car il est maintenu à l’abri des intempéries propres à la guerre économique qui fait rage au dehors…

L’énarque, version poussée du fonctionnaire jusqu’à son paroxysme, résume à lui seul les travers d’un tropisme administratif si français : convaincu du « tout administratif », notre pays a ainsi créé l’Ecole Nationale de l’Administration, qui n’est autre qu’une école du pouvoir politique, comme si le pouvoir devait et pouvait s’apprendre dans une école unique et spécifiquement dédiée à cela. D’ailleurs, le fait que parmi les trois voies d’accès à cette école, la plus importante en nombre d’élèves soit celle réservée aux fonctionnaires de catégorie A en dit long sur le système de valeur qui a prévalu à la mise en place de cette école dont un ancien juré, encore Michel Crozier, avait dit qu’il fallait « la fermer de suite » et qu’il n’avait jamais rencontré d’étudiants « aussi intellectuellement fermés » ailleurs. Faut-il rappeler qu’il n’existe pas d’équivalent de cette école parmi les pays de l’OCDE, et que, sauf erreur, la France n’a réussi à exporter l’ENA que vers des pays d’Afrique ? Nombreux sont d’ailleurs ses diplômés à s’être illustrés par les dégâts qu’ils ont infligés à nos entreprises si l’on en croit l’étonnant rapport la promotion Titanic établi il y a quelques années par l’association Liberté Chérie. Quoi de plus prévisible en effet de la part d’un système de sélection qui donne droit à n’importe lequel de ses diplômés de se retrouver à la tête des 50 000 employés d’une entreprise d’Etat du jour au lendemain, à peine quelques mois après le stage obligatoire de fin d’études chez un Préfet et un passage éclair en cabinet ministériel, et donc sans la moindre expérience significative ?

Clairement, l’enseignement ou l’expérience de l’administration ne constituent en aucun cas un gage solide d’efficacité. Or la France a survalorisé ce canal là depuis longtemps avec pour résultat une écrasante surreprésentation statistique des fonctionnaires au sommet de son Etat.

Tout d’un coup, la mainmise de ce profil administratif dénué d’expérience du monde entrepreneurial et de l’international explique parfaitement pourquoi nous sommes gouvernés par des personnalités tellement marginalisées culturellement parlant qu’elles en viennent à commettre des gaffes d’un autre âge : un ministre qui méprise Mittal, qui sermonne PSA (pourtant particulièrement pro-français dans ses investissements), puis qui se fait coup sur coup ridiculiser par le Directeur de Toyota France et le PDG de Titan n’a plus rien d’étonnant. Un ancien maire de Tulle devenu premier secrétaire d’un parti étatique qui se fait élire Président de la République en ne parlant jamais des problèmes graves de compétitivité que connaît notre pays, et qui reprend le recrutement des fonctionnaires aussitôt élu alors que nous en avons déjà plus que les allemands et que notre économie s’enfonce depuis une trentaine d’année, cela n’est pas non plus surprenant. Des média français qui dans leur grande majorité, par simple mimétisme du pouvoir en place, tirent à boulet rouge sur les riches et les patrons, sur le libéralisme et sur la planète finance, tout cela devient également logique. En fait, tout cela devait logiquement arriver, tout cela représente même notre marqueur culturel : pour les étrangers, nous sommes des rêveurs, des idéologues, des gens abstraits éloignés des réalités. De par l’évitement systématique des problèmes qui l’a caractérisé, notre dernière campagne présidentielle a été perçue à l’extérieur comme schizophrène. Et pourtant, elle nous ressemble tellement : de fil en aiguille, c’est tout le logiciel français qui s’est détourné du monde réel et qui maintenant accuse un retard qui s’apparente à de l’autisme.

La mainmise des fonctionnaires sur la gestion de notre pays était jusqu’à présent contreproductive. Elle va maintenant devenir suicidaire au fur et à mesure de l’intensification de la concurrence internationale. Pourquoi ? Parce que la mondialisation, l’économie globale et le commerce international sont devenus des chances pour les pays pauvres d’émerger et d’améliorer leur niveau de vie. D’une part, leur interdire serait donc immoral. D’autre part, il n’existe aucun moyen de les en empêcher : fermer nos frontières nous serait même probablement fatal.

Et comme l’intelligence humaine est parfaitement répandue sur notre planète*, nous allons de plus en plus souffrir de leur progrès. Le processus est d’autant plus prévisible qu’il a déjà commencé : ces pays vont continuer à profiter de leurs coûts inférieurs aux nôtres tout en apprenant à accroître leur valeur ajoutée. En conséquence, ils vont accroître leurs parts de marché au préjudice de la nôtre, en remportant de plus en plus de marchés extérieurs que nous perdrons de façon tout aussi mécanique. Ils rivaliseront de plus en plus efficacement avec nos produits chers car les avantages distinctifs de ces derniers iront en s’estompant face à l’inévitable  saut qualitatif que ces pays ont déjà commencé à engager. Ils nous vendront de plus en plus de leurs produits car nous ne serons plus capables de les produire ne serait-ce que pour nous-même de façon acceptable (avec un niveau de qualité qui justifie le surcroît de prix) ou parce que nous ne pourrons plus les produire du tout faute de débouchés (comme c’est déjà le cas de plusieurs secteurs industriels dont la France a été chassée par des pays bien plus compétitifs) et les pays étrangers achèteront de plus en plus de leurs produits au préjudice de ceux que nous fabriquerons encore. Quels sont les secteurs français dont on peut sérieusement penser qu’ils sont véritablement à l’abri de ce processus ? En dehors du tourisme et des services de proximité, ils ne sont pas nombreux…

Pire, ce processus devient d’autant plus dramatique que vivre  à crédit nous est maintenant interdit. Nous avons différé depuis disons une trentaine d’années le choc avec le réel. Celui-ci nous revient donc dessus comme un boomerang géant. Mais comment pouvons-nous nous en sortir avec un Etat qui a les yeux bandés ? Une république de fonctionnaires armée d’une majorité de médias « aux ordres » qui maintiennent les citoyens dans l’ignorance économique risque hélas de nous conduire au pire.

 

*heureusement, la culture générale l’est beaucoup moins. Il nous reste donc encore une possibilité : la fuite dans l’innovation, c’est-à-dire la R&D, la création de brevets, la découverte de pistes technologiques, l’invention de nouveaux produits et services, de nouvelles applications. Cet avantage-là est par ailleurs le plus difficile à acquérir, et c’est donc probablement notre ultime chance.

Laisser une réponse