Le naufrage
Il est toujours affligeant de voir des citoyens voter contre leurs propres intérêts, puis de reproduire le même geste sans broncher lorsque cela va encore plus mal, suite aux conséquences de leur premier vote. Pourquoi de tels entêtements ? Par attirance pour le chaos ? Par rejet du système de valeur mondial basé sur la réussite économique et la compétition ? Par désir de suicide collectif ? Absolument pas. Les seules raisons de telles méprises coûteuses et dramatiques sont à rechercher du côté de l’incompréhension voire de l’ignorance de l’Histoire immédiate. Ce qui se déroule sous leurs yeux de citoyens, dans le gouvernement qu’ils ont eux-mêmes élu, sur le front de l’économie et du social de leur vie quotidienne, tout cela leur échappe. Ils n’en comprennent ni le détail, ni la signification profonde, ni même les conséquences prévisibles. L’Histoire qui se déroule de leur vivant, chaque jour qui passe, ne leur parle pas. Elle leur apparaît absconse, codée, inaccessible, hermétique.
Ainsi en était-il de cette électrice grecque d’une soixantaine d’années interviewée semaine dernière sur France 24, qui, sans la moindre honte, déclarait devant la caméra : « J’ai voté pour Alexis Tsipras. Il faut qu’il tienne ses promesses, j’ai voté pour lui ». Faut-il le rappeler, la promesse consistait à éviter au peuple grecque de se serrer la ceinture malgré sa ruine, ce qui était magnifique en effet. Celle-ci a tout naturellement trouvé un écho favorable chez cette femme qui, maintenant, pense effectivement qu’il ne tient plus qu’au premier ministre qu’elle a élu de la réaliser.
Cet angélisme est à la fois triste et affligeant. Car dans ce cas précis, le système logique [promesse > adhésion à la promesse > exigence de résultat] ressemble à s’y méprendre au caprice d’un enfant immature. Ce système ne tient compte en aucune façon du contexte et de son aspect éventuellement irréaliste. Il est littéralement déconnecté, en apesanteur des contingences financière et sociales. A l’image des exigences d’un nouveau-né en plein stade syncrétique, qui ne fait pas encore la différence entre soi et le reste du monde, et qui pense que tout est là autour de lui pour servir ses seuls intérêts, son « plaisir sexuel » dirait S.Freud : BCE, FMI, créanciers…
La parodie de démocratie
Quand bien même est-il politiquement incorrect de le dire, il faut avoir le courage de l’admettre : cette électrice grecque, comme des millions d’électeurs de tous pays, a fait la preuve de son incompétence. Elle s’est prononcé d’un point de vue primaire, au premier degré. Elle n’a pas été capable de décrypter ce qui était mensonger de ce qui ne l’était pas. Elle n’avait pas non plus les moyens de mesurer les risques que son propre choix pouvait infliger à l’ensemble de son pays. Elle a voté à la hauteur de sa méconnaissance totale des enjeux, c’est-à-dire en aveugle. Enfin, elle fournit par la même occasion la possibilité aux menteurs et aux inconscients d’être élus sur de simples promesses de ce genre. Elle participe en effet pleinement à l’épanouissement de cette « relation circulaire réflexive » (pour citer Edgar Morin) entre le « peuple manipulable » d’un côté et une « classe politique manipulatrice et menteuse » de l’autre.
Cette relation circulaire enfonce le peuple grec depuis des décennies, aux dépens de ce dernier bien sûr, et sans qu’il soit conscient de ce qu’il devrait faire pour l’interrompre. Trois questions épistémologiques d’importance viennent donc à l’esprit:
-à quoi les élections, principal outil de la panoplie des démocraties, servent-elles si les électeurs ne savent pas s’en servir ?
-peut-on vraiment soutenir que la démocratie grecque fonctionne ?
-que faire pour casser ce cercle vicieux ?
Le conflit dissymétrique
Dans la tragédie grecque actuelle, le meilleur n’est pas forcément le plus sûr. Lorsque le gouvernement d’Alexis Tsipras a claqué la porte des négociations européennes puis, au nez et à la barbe des créanciers, a décidé d’organiser un référendum sur la rigueur (question digne d’un caprice d’enfant qui refuse le réel), force est de constater que l’immaturité de la classe politique au pouvoir semble tout aussi robuste que celle de la majorité de ses électeurs. Face à des créanciers qui ont fait de multiples efforts et qui ne sont de toute façon pas responsables de la fuite en avant et de la mauvaise gestion grecques, il n’est pas sûr qu’une telle pirouette ait la moindre chance de succès. Un débiteur ne peut pas embobiner des créanciers avec de tels arguments. Ce serait même le monde à l’envers…
Sauf que l’immaturité et l’irréalisme de la classe politique grecque n’expliquent pas à elles seules un tel affront. Il y avait en effet un déséquilibre si grand entre le David grec et le Goliath européen que les apprentis négociateurs (ex communistes par ailleurs) grecs ont tenté leur chance en profitant de la faille qui leur était offerte. Il est démontré que dans les guerres ou les conflits dits « dissymétriques » , les challengers ont toujours une carte à jouer, et ce n’est pas forcément le plus puissant qui sort victorieux. Il semble qu’il en soit de même dans les négociations. Dont acte…
La mollesse européenne
Face à ce comportement immature, et provocateur, l’Europe a fait montre d’une évidente dignité tout au long de ces négociations. Elle aurait pu toutefois soulever des sarcasmes dans les média du monde entier voire des réactions sur les marchés financiers car sa patience et son abnégation sont apparues interminables face à une Grèce qui s’est ruinée de sa propre faute et qui s’est malgré tout permis le luxe de jouer la victime de « l’austérité européenne » et de menacer ses créanciers. Il est même surprenant que l’image de l’Europe n’est pas été écornée à cette occasion. Sans doute incarne t-elle un idéal de générosité qui lui colle à la peau et qui fait rêver un peut partout, ce qui la protège de ce genre de critique ? Quoi qu’il en soit, l’Europe s’est montrée faible. Elle l’est d’ailleurs depuis le début de l’euro et continue de l’être d’un point de vue politique et économique :
- elle a créé une monnaie unique mais sans politique de convergence économique (sans contrainte donc, rien qu’avec des avantages !)
- elle n’est pas intervenue en amont dans le problème grec lorsqu’il fallait arrêter la tricherie des comptes de l’Etat socialiste grec et prendre des sanctions contre lui afin qu’il évite le naufrage du pays
- elle n’a toujours pas mis en place une politique économique basée sur la convergence des grands ratios économiques et le respect des règles de base de la gouvernance
Que l’Europe se dote d’une gouvernance économique est d’autant plus urgent qu’un autre pays européen s’approche lentement mais surement de l’œil du cyclone : la France. Le naufrage grec et la parodie de démocratie sont déjà parfaitement avant-coureurs de nos difficultés.
Qui dit gouvernance dit sanctions ! Gérer, c’est prévenir ! L’Europe a une opportunité historique de se montrer enfin intraitable avec les mauvais gestionnaires et les pourvoyeurs d’illusions. Qu’elle le devienne avec la Grèce, car son exemple est une caricature du pire de ce qui peut arriver à un pays de la communauté. Et qu’elle le soit avec la France. Ce sera certes cuisant à court terme mais nous avons tous à y gagner. Et pas seulement la France, mais toutes les démocraties européennes !
6 juillet 2015 0 h 28 min
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6 juillet 2015 4 h 28 min
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6 juillet 2015 4 h 45 min
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6 juillet 2015 20 h 57 min
La thèse de Claude Robert pour comprendre et expliquer ce qui se passe en Grèce depuis plusieurs semaines est fort simple : les Grecs, ou plutôt une grande majorité des Grecs sont immatures, ce sont de grands enfants. Cette analyse tout en finesse est très commode. En cette période de canicule, elle évite finalement de dépenser de l’énergie à analyser l’évolution de la situation économique, sociale, sanitaire grecque depuis plus de 5 ans, ce qui provoquerait inévitablement une surchauffe neuronale chez certains ! Car après tout, pourquoi perdre du temps à s’interroger sur la relation causale qui pourrait exister entre le résultat du référendum grec et les conséquences désastreuses des politiques prônées par le FMI, la BCE, la commission européenne et appliquée en Grèce depuis 5 ans alors qu’il suffit juste d’invoquer l’immaturité de ces fainéants (voleurs ?) grecs et allez Marcel, tu me remets un ricard, on va pas passer l’apéro là-dessus. Pourtant, comment un esprit même infantile ne peut s’apercevoir que lorsqu’on impose des politiques qui font doubler le chômage, provoquent une récession comme jamais vue depuis la guerre, une explosion de l’endettement (alors que ces mesures sont présentées comme remède à l’endettement !), privent ¼ de la population d’assurance santé (conduisant ainsi à des situations morbides que je n’évoquerai pas ici, pour ceux qui veulent s’informer je leur conseille « Quand l’Austérité tue »), conduisent à un retour du palu, du jamais-vu depuis plus de 40 ans, une consultation des citoyens ne peut aboutir à un rejet d’une continuation de ces politiques ? Si les Grecs avaient voté oui, on aurait pu l’analyser aussi finement que Claude Robert en déclarant que les Grecs étaient de grands adeptes du SM !
Claude Robert prétend que les créanciers de la Grèce ont fait des efforts. Sans aucun doute, mais des efforts incommensurables aux sacrifices qu’ont fait les Grecs : baisse du nombre de fonctionnaires (alors qu’avant crise le taux fonctionnaires/habitants était le même qu’en Allemagne, un des plus petit des pays développés 50/1000 !), baisse des salaires, facilité de licenciements, privatisations, durcissement des conditions d’indemnisation chômage, impôts absurdes telle la taxe exceptionnelle sur la propriété immobilière, réduction des budgets santé qui ont transformé de nombreux hôpitaux en simples centres de soins (des dispensaires en somme), ont entrainé une pénurie de matériel médical, ont privé des 50 000 diabétiques d’insuline ! Je rappelle au passage que plus de 2/3 des sommes versées à la Grèce ont servi non pas à la population mais à recapitaliser les banques grecques (sans contrepartie), ou encore pour permettre à la Grèce de payer ses créanciers !
Mais pour finir, puisque Claude Robert fait dans le psychologisme, je lui répondrai dans le même registre. Je luis ferai remarquer que les individus favorables aux mesures proposées par la fameuse troïka semblent atteint soit du syndrome du « plus de la même chose » mis en évidence par Paul Watzlawick (cela signifie que la solution, au lieu de régler le problème l’aggrave et cette aggravation sert paradoxalement à justifier de continuer ou renforcer cette solution) ou du syndrome de la dissonance cognitive mis en évidence par Leon Festinger (au lieu de démentir la théorie, les faits invalidant une prédiction la renforce). On retrouve ces deux syndromes notamment dans les mouvements sectaires.
7 juillet 2015 9 h 23 min
Je suis toujours épaté de voir combien il est devenu impossible de nommer les responsabilités populaires. Le peuple, les dominés ont toujours raison, ce ne sont que des victimes des banques. Comme si l’argent des banques n’était pas l’argent de leurs clients… Enfin, taxer de psychologisme une tentative d’éclairer des comportements par le biais de la science psychologique est amusant. Serait-il interdit de réfléchir ? Autre anomalie parmi celles que je pourrais relever : donner de l’argent à la Grèce pour payer ses créanciers ne revient pas à donner de l’argent à la Grèce. Sic. C’est écrit !
Aujourd’hui, avec le politiquement correct, on peut trouver des gens qui, avec le meilleur aplomb, nient les responsabilités les plus évidentes des électeurs ruinés par leurs choix politiques, refusent toute dignité et tout respect aux institutions qui ont pourtant bien voulu allonger l’argent à ce pays géré de façon catastrophique et crapuleuse. Pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore, il serait temps de laisser le réel s’exprimer plainement : les dettes sont toujours des dettes, la ruine reste une ruine malgré le Verbe qui peut tenter de faire croire le contraire, les créanciers ne sont pas plus idiots que les débiteurs. Et cerise sur le gâteau, un pays qui s’est lentement et sûrement couché dans la faillite n’est pas un pays supérieur à un pays bien géré ! la seule façon de le guérir définitivement de son penchant naturel, et de faire comme on fait avec les ménages en faillite !
7 juillet 2015 14 h 34 min
« Je suis toujours épaté de voir combien il est devenu impossible de nommer les responsabilités populaires. Le peuple, les dominés ont toujours raison ». Je suis assez d’accord avec vous d’autant plus que je n’ai jamais écrit ce que vous dénoncez. Vous vous faites ici un petit plaisir solitaire en jouant avec un homme de paille. Juste une critique, il paraît tout de même évident que la responsabilité d’un dominé et d’un dominant n’est pas la même. Ne dit-on pas qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ?
« taxer de psychologisme une tentative d’éclairer des comportements par le biais de la science psychologique est amusant.» Allons Léon, un peu de sérieux ! Où voyez-vous une once de science psychologique dans le propos de Claude Robert ?
« Serait-il interdit de réfléchir ? » C’est marrant car c’est justement le manque de réflexion que je reproche à cet article !
« Autre anomalie parmi celles que je pourrais relever : donner de l’argent à la Grèce pour payer ses créanciers ne revient pas à donner de l’argent à la Grèce. Sic. C’est écrit ! » Je vous fais remarquer que les règles usuelles d’écriture consiste à citer les propos de l’auteur avant d’écrire « sic ». or je n’ai jamais écrit ce que vous prétendez. Tout le monde peut le constater. Je fais simplement remarquer que l’argent prêté à la Grèce n’a servi que pour 1/3 à financer les dépenses publiques. Le gros reste a servi à recapitaliser les banques et payer les créanciers. Sur ce dernier point, cela signifie que les Etats européens ont emprunté pour prêter à la Grèce de l’argent qui est allé dans les bourses des créanciers soit grosso modo les banques européennes. Si on raccourcit, cela veut dire que les Etats ont emprunté pour donner de l’argent aux banques ! Si j’avais l’esprit tordu, je ferai remarquer que cela fait passer comme cela par des intermédiaires fait penser au blanchiment d’argent que maîtrisent très bien les organisations financières !
La seule façon de le guérir, c’est ce qu’on pourrait appeler un jubilé de la dette comme ce faisaient les mésopotamiens il y a 4000 ans. Ils comprenaient mieux le fonctionnement de l’économie que nombre de nos économistes charlatans et les moutons qui bêlent avec eux.
7 juillet 2015 17 h 34 min
Vous répétez vos propos précédents, vous ne comprenez pas forcément les miens. J’assume totalement les termes de mon article, c’est un article mesuré que j’ai mis longtemps à murir et dont je reprocherais presque la prudence ! C’est un article très désagréable. Il touche des noeuds gordiens du politiquement correct français de gauche actuel, ce système relativiste qui réduit tout au même niveau. Rien que le nombre de réactions sur Contrepoints m’a fait beaucoup plaisir. Beaucoup d’entre elles sont hors sujet, mais je sais à peu près d’où elles viennent, les phrases exactes qui les ont déclenchées. Ces phrases sont à la base de ma réflexion actuelle, réflexion qui fait son chemin très loin de la morale officielle, très loin de la rondeur diplomatique qui fait le doux ron-ron de nombre de média bien comme il faut. Il y a une sophistication perverse dans le politiquement correct, qui fait que l’on ne perçoit même pas les choses réelles, brutes et abjectes qui se produisent sous nos yeux. Il faut des analyses pour remettre cela sur la table de ceux qui ne veulent pas le voir.
7 juillet 2015 19 h 49 min
J’ai plutôt eu l’impression que c’est vous qui n’aviez pas compris les miens en me faisant tenir des propos que je n’avais pas tenu, j’ai donc jugé utile de les répéter. Il n’y a que cela que j’ai répété. Que vous assumiez vos propos ne peut qu’être mis à votre crédit (sans mauvais jeu de mots….), j’assume également mes critiques. Je ne juge pas la valeur des arguments en me demandant s’ils sont politiquement ou non politiquement corrects. Je pense d’ailleurs que « le politiquement correct » est un artifice rhétorique inventé par ceux qui prétendent s’y opposer. Une manière de se mettre en avant. Pour le coup, une analyse psychologique ne serait peut-être pas inutile : c’est peut-être un reste d’une crise d’adolescence (vous savez quand les ados sont dans l’opposition constante et automatique, ce qui est nécessaire pour construire son identité). Sur ce, je vous laisse le dernier mot.
7 juillet 2015 20 h 19 min
Si vous avez de la peine à cerner ce qu’est ce fameux politiquement correct français, alors je vous invite à creuser la question avant d’aller chercher chez autrui des éventuelles crises d’adolescences non terminées. Vous pouvez ne pas être d’accord avec un article mais vous en prendre à l’auteur est un travers que l’on rencontre hélas souvent et qui ne fait pas avancer le débat. C’est très souvent une faiblesse d’arguments qui pousse à en arriver là. Le politiquement correct actuel est un vaste trou noir qui empêche de nommer certaines choses, qui véhicule des tas d’inpensés et qui fait le jeu du relativisme et de la pensée dominante étatique. Le problème de la Grèce est typiquement investi par cette moraline. Mon propos, dans mon article, est d’autant plus désagréable qu’il s’affranchit de ce politiquement correct. Et c’est son premier mérite : rétablir une hiérarchie que le relativisme écrase, nommer des responsabilité que l’interdiction de stigmatiser interdit de signaler. Et démontrer la limites et la fragilité de la démocratie, car là est le danger. C’est elle qui est visée par le politiquement correct. Il y a un projet derrière lui…