Nombreux étaient ceux et celles, observateurs ou simples citoyens, à déceler dans les manifestations post attentat de Charlie les marques d’une réaction énergique, celle d’un pays meurtri qui se redresse, se ressaisi dans l’union, et décide de faire face aux évènements. Beaucoup ont retrouvé cette agréable sensation à l’issue des attentats de novembre, à travers des comportements qui ont fait la preuve d’une immense dignité, notamment du fait de l’absence de propos visant l’Islam ou les musulmans en général, et d’une série de détails annonçant une sorte de réhabilitation de la nation française : engagements militaires soudainement en hausse, drapeaux déployés, regroupement autour d’une Marseillaise miraculeusement nettoyée de ses connotations populistes… Toutefois, la part de l’émotion qui sous-tend ces réactions est immense, et laisse planer un doute quant à la profondeur de celles-ci… Le risque est grand, en effet, que l’on ait confondu cette émotion avec ce que l’on a interprété comme un réveil plein d’espoir.
Or, ce qui vient de se produire lors du second tour des régionales est probablement bien plus fort que tout cela. Pourquoi ? Parce qu’à la différence des attentats et de leur incroyable violence physique et symbolique, rien parmi les enjeux de ces élections ne comportait de véritable dimension émotionnelle de nature à soulever ces mouvements instinctifs dont les foules ont paraît-il le secret. Ce qui vient de se réaliser sous nos yeux, en ce dimanche 13 décembre, est au contraire magnifique de rationalité et de secondarité, et se trouve combiné selon plusieurs dimensions qui en montrent toute la profondeur : le froid sursaut républicain dans les urnes, la prise de conscience (ne serait-ce que dans le discours) des leaders politiques, et le changement de ton chez de nombreux présentateurs et journalistes. Tous ces éléments laissent espérer les probables prémices d’une véritable inflexion à l’intérieur du logiciel hexagonal. Qu’on en juge :
Le sursaut républicain
N’est-ce pas magnifique de voir qu’après un premier tour qui se caractérise par un raz de marée d’un parti populiste plus ou moins douteux quant à ses racines idéologiques, les français se sont précipités dans les urnes en plus grand nombre afin de rétablir la primauté des partis dits républicains ? Ce retour en masse s’est d’ailleurs combiné avec des reports de voix qui ont transcendé les courants et les crispations politiques. Ainsi, une majorité de citoyens se sont retrouvés sur l’essentiel : faire barrage à l’extrême droite, au-delà de leurs habitudes électorales. Ce mouvement citoyen est d’ailleurs assez magnifique dans le sens où il a été spontané et général : la plupart des leaders politiques ont, à l’image du premier ministre, donné des consignes de désistement, tandis que des milliers d’électeurs supplémentaires se sont déplacés. Ainsi le taux d’abstention s’est réduit de près de 8 points par rapport au premier tour, ce qui n’est pas rien ! Tout cela est d’autant plus encourageant qu’il faut souligner quelque chose de fondamental : à l’inverse des évènements post attentats, ce ne sont pas les affects qui se sont manifestés ce dimanche 13 décembre. Aucun soulèvement émotionnel ne peut justifier pareille prise de conscience. Le phénomène mérite donc d’être interprété à sa juste valeur.
La prise de conscience des leaders politiques
Le vent du boulet, le signal d’alerte, le voyant rouge… Toutes ces expressions traduisent bien ce qui s’est produit lors de ces deux tours des régionales, avec un premier tour en signe d’avertissement historique de grande ampleur : un FN aux portes du pouvoir, porté par une exaspération illimitée d’une bonne partie des électeurs, et l’inconséquence d’une classe politique depuis des décennies, inconséquence au sommet de laquelle se trouve un gouvernement socialiste qui cumule tous les échecs possibles et inimaginables depuis 2012. Cette exaspération, cet avertissement douloureux et plein de menace du premier tour, le fait que les candidats en lice se soient bien gardés de faire appel aux leaders nationaux pour conserver leurs chances, tout cela a été perçu par nos hommes politiques. Dimanche soir, lors du dépouillement des résultats, leurs visages défaits trahissaient l’ampleur de leur malaise. Certes, grâce à la mobilisation de tous, le pire a été évité et les dernières estimations ont du profondément les soulager : aucune région n’a basculé vers l’extrême droite, le Parti Républicain progresse, le Parti Socialiste conserve plusieurs régions et un nombre de sièges important. Mais les leaders se souviendront longtemps du désastre qui aurait pu se produire. Surtout, ils savent que ce même désastre les attend lors des prochaines élections et qu’il n’y aura plus forcément de repêchage au second tour… Bien sûr, on peut toujours craindre que notre classe politique soit totalement autiste et n’ait toujours pas compris l’état de déréliction de notre pays. Toutefois, dimanche soir, les discours avaient changé, et les propos étaient empreints de quelque chose de nouveau et de plus profond que d’habitude… Ceci aussi est encourageant…
Le changement de ton journalistique
Est-ce une illusion, une tocade passagère ou le début d’un aggiornamento ? En tout cas, dimanche soir, sur les plateaux télévisés des principales chaînes d’information, le comportement des présentateurs donnait l’impression d’avoir changé. L’heure n’était plus aux déclarations victorieuses de chacun des partis en lice, ou aux engagements « promis-juré-on-va-s’atteler-aux-problèmes ». Il y avait comme un langage de vérité, comme une modestie imposée, y compris dans les rédactions des chaînes publiques réputées pour leur complaisance vis-à-vis du pouvoir. Est-ce une catharsis qui commence à se manifester ? Un ras le bol des émissions empesées pendant lesquelles chaque camp distille ses mensonges et ses éléments de langages sous l’œil approbateur des journalistes ? Toujours est-il que les leaders politiques semblaient un peu plus challengés qu’à l’accoutumée. La signification de l’incroyable avertissement du premier tour, et le rétablissement miraculeux du second étaient sur toutes les lèvres. Là encore, il s’agit d’un motif de satisfaction…
Et maintenant ?
Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que le miracle se poursuive et que le pays se métamorphose définitivement. Que manquerait-il pour parfaire ce tableau plutôt enthousiasmant ? C’est finalement assez simple :
-Que les leaders politiques les plus usés dans l’esprit des électeurs, ceux qui ont fatigué les citoyens depuis trop d’années d’échecs ou de promesses, que ces leaders se retirent et laissent la place à un renouvellement générationnel.
-Que les journalistes continuent sur cet élan de transparence et d’abstinence idéologique, qu’ils ravalent leur engagement politique et qu’ils se focalisent exclusivement sur le réel.
-Que la nouvelle garde politique se déclare, abandonne ses tabous, nous parle enfin des problèmes économiques et sécuritaires de notre pays, et ose proposer les seules solutions viables, celles que l’on a différées depuis si longtemps : les réformes libérales.
15 décembre 2015 7 h 56 min
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