Contre toute attente, mi-décembre, une majorité de Français soutenait les manifestants lors du blocage des transports. L’un des sondages a même fait état de 62%[1] d’avis en faveur des grévistes, alors que ces derniers bénéficient pourtant de conditions de retraites clairement exceptionnelles en comparaison du reste de la population. Qu’on en juge : 3705€ de retraite moyenne pour la RATP, 3505€ pour EDF/GDF[2], 2636€ pour la SNCF, 2206€ pour les fonctionnaires de l’Etat, 1904€ pour les hôpitaux, et seulement 1496€ pour la moyenne des Français[3] !
On peut certes en déduire qu’une bonne partie de la population est peu informée, voire carrément manipulée sur le plan idéologique. Mais il ne faut pas sous-estimer pour autant le (mauvais) génie du syndicalisme à la française ! Celui-ci n’a-t-il pas réussi l’incroyable exploit de se faire défendre par les propres victimes de ses débordements corporatistes ?
Obtenir l’assentiment de plus de la moitié de la population malgré des blocages particulièrement insanes au beau milieu des fêtes de fin d’année constitue en effet une écrasante victoire symbolique. Une victoire qui, ne l’oublions jamais, se joue contre l’intérêt général. Une victoire qui s’est construite au mépris de la morale la plus élémentaire. Un scandaleux pied de nez aux notions de liberté individuelle et de « service public ». Car faut-il le rappeler, un fonctionnaire, civil servant en anglais, est avant tout au service du public, en retour d’une rémunération que celui-ci lui alloue via des impôts dont on sait tous combien ils sont confiscatoires dans l’hexagone.
A la pointe de ce syndicalisme d’un autre âge, mais particulièrement aguerri et passé maître en manipulation, se trouve la CGT, bastion d’extrême gauche dont le pouvoir de nuisance est tout simplement devenu l’un des handicaps majeurs de notre pays.
La CGT, combien de divisions ?
Seulement 11% des Français sont syndiqués, mais la situation est très variable du fait d’un taux de cotisants respectivement de 20% dans le public et de 9% dans le privé ! Ce qui permet de résumer ainsi : « plus la situation des salariés est précaire, moins le taux de syndicalisation est fort » [4] ce qui est tout simplement renversant !
La CGT a été créée en 1895 et a régné seule jusqu’en 1919, date de l’arrivée de la CFDT. A la différence de cette dernière, la CGT incarne encore aujourd’hui le syndicalisme de combat de ses débuts : « La Confédération générale du Travail (CGT)…/… a favorisé le syndicalisme de lutte et a marqué au fer blanc l’identité syndicale française. Les occupations d’usines pendant les évènements du Front populaire de 1936, la libération en 1945 et l’instauration d’un système de protection sociale très favorable, les évènements de mai 1968 et les lois Auroux de 1982 en sont quelques illustrations »[5].
Si l’on en croit leurs propres sources, avec ses 664.350 cotisants (2016), la CGT conserverait encore la tête devant les 623.802 de la CFDT (2017)[6]. Elle ne représente ainsi que 2,34% de la population active hexagonale[7], parmi laquelle, sans surprise, une surpondération d’agents de l’Etat ! D’ailleurs, au-delà de sa très faible représentativité numérique globale, la sociologie des adhérents de la CGT est une véritable insulte à la démocratie !
La CGT, un syndicalisme taillé sur mesure
En effet, ces 2,34% de la population active ne sont même pas représentatifs de la population des travailleurs. En 2013 (dernière statistique disponible), seulement 58,4% de ses adhérents exercent dans le privé alors qu’ils sont environ 80% dans la société active. Surtout, ces 58,4% se retrouvent gérés par des fédérations qui relèvent à 54% du public, parmi lesquelles les « puissantes organisations des services publics, cheminots et santé »[8]. On comprend très vite pourquoi la mission de ce syndicat reste ontologiquement corporatiste. Ce qui ne l’empêche pas de revendiquer une légitimité au-dessus de tout soupçon. Et d’en profiter pour imposer son diktat sur l’ensemble du pays…
La CGT, un Léviathan qui menace l’Etat
Forte de son considérable pouvoir, consciente de la passivité si ce n’est de l’assentiment de la population[9], la CGT en vient une fois de plus à menacer le gouvernement. Elle s’adresse naturellement à lui d’égal à égal, faisant fi des processus démocratiques, piétinant allégrement son autorité. « Ce gouvernement n’entend rien, il faut mettre davantage de pression » a déclaré fin décembre Thierry Defresne, délégué syndical de la fédération de la chimie. Et de poursuivre : « Nous verrons ensuite, au vu de la mobilisation à la rentrée du lundi 6 janvier à la SNCF et à la RATP, au vu aussi du caractère massif ou non des manifestations de la journée interprofessionnelle du 9 janvier, s’il faut aller au-delà et mettre les installations à l’arrêt (…). Il s’agit cette fois de faire en sorte qu’aucune expédition de produit ne sorte du 7 au 10 janvier tous ensemble »[10].
Ainsi, le programme des réjouissances est claironné à l’avance. Il sera comme d’habitude respecté, au grand dam de la liberté individuelle des Français. Depuis ce mardi 7 janvier déjà, la liberté de circuler en train, en métro ou en voiture est de nouveau bafouée. Un préavis de grève est déposé pour ce jeudi 9 janvier, et une journée de manifestation générale est encore prévue ce samedi 11. Une fois de plus, le pays est pris en otage.
La CGT, ou la contestation de l’Etat de droit
Qu’est-ce que « l’Etat de droit » ? C’est une notion qui « est solidement ancrée dans l’histoire des concepts politico-juridiques : c’est ontologiquement la forme juridique du libéralisme politique. C’est un mode de limitation du pouvoir (qui vise à éviter l’arbitraire), là où la démocratie est un mode d’organisation du pouvoir (qui gouverne) »[11].
Il est clair qu’en décrétant quand ça lui chante l’occupation des dépôts de carburant et la confiscation de tout ou partie des transports publics, la CGT se trouve en opposition frontale avec l’Etat de droit. En envahissant une partie du territoire et en bloquant à sa guise la circulation des biens et des personnes, elle se comporte exactement comme une organisation terroriste[12] ou comme une force armée étrangère qui tente de paralyser notre pays.
Un tel chaos s’avère d’autant plus irréel qu’il se produit régulièrement, selon le bon vouloir de cette centrale syndicale, sous l’oeil complaisant de la sphère médiatique, le tout sur fond d’impuissance publique avérée. Tandis que le gouvernement a été démocratiquement élu[13] et que chaque Français est tenu de respecter le droit, les troupes de la CGT envahissent notre quotidien devant un Etat tout aussi incapable d’expliquer la nécessité d’une réforme que de montrer l’exemple de la solidarité en réalisant lui-même les efforts nécessaires, que de faire preuve de capacité d’écoute et, plus grave encore, que d’imposer le respect des règles de la démocratie.
Ainsi, parce qu’il n’a plus les moyens de faire autrement, l’Etat a abandonné une partie de son pouvoir à la CGT, qui en profite en toute impunité.
[1] Harris Interactive pour RTL le 17/12/19
[2] Anciennes appellations
[3] Le Point 12/12/19 (source Cour des Comptes) : il s’agit de moyennes calculées pour les retraites prises en 2019.
[4] L’Obs 2/06/18
[5] The Conversation 15/03/18
[6] Europe1 économie 16/06/18
[7] Puisque la population active est de 29,7 millions (Tableaux de l’économie, INSEE 2017)
[8] La Croix 18/03/13
[9] Selon le dernier sondage IFOP, le soutien populaire serait descendu à 44% (L’OBS 5/01/20)
[10] Le Monde 31/12/19
[11] Revue des droits et libertés fondamentaux, RDLF 2019 chron. n°29
[12] A la seule différence qu’elle casse mais ne tue pas
[13] Certes, la classe politico-médiatique n’a pas été d’une splendide exemplarité lors de ces dernières présidentielles…
10 janvier 2020 15 h 58 min
Article paru dans Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2020/01/09/361860-la-cgt-un-etat-dans-letat